Notre liberté est à nouveau contrainte par un troisième confinement, pour limiter la propagation du COVID-19. Liberté d’aller et venir, de voyager ; liberté de se voir, entre amis, entre collègues et partenaires de travail. Liberté de se regrouper pour célébrer un anniversaire, de se recueillir à plusieurs pour un décès.

La lecture du philosophe stoïcien Epictète sur le sujet de la liberté (Entretiens, Livre IV, I) nous rappelle que pour nous considérer comme libres, nous devons savoir où chercher la liberté. Si nous la cherchons au mauvais endroit, il n’est pas surprenant que nous ne la trouvions pas. Quels sont ces endroits ? Epictète en cite quelques-uns : le pouvoir (sous la forme de fonctions ou d’emplois prestigieux), l’argent (plus nous en avons, plus nous pouvons acquérir ce que nous désirons), l’amour. Pouvoir, argent et amour sont autant d’objets de désir, mais qui dans le même temps nous asservissent par l’attachement ou l’anxiété qu’ils génèrent. A trop vouloir garder ce que l’on a obtenu, ou à trop craindre de la perdre, nous nous rendons esclaves de cela même que nous avons désiré. Pour Epictète, ce n’est pas en cherchant de ce côté que nous trouverons la liberté. « Avons-nous autant de maîtres ? »  demande l’élève d’Épictète. « Oui, répond Epictète. Parce qu’en plus du reste, nous avons des maîtres sous la forme des circonstances, qui sont légion. » On dirait qu’Epictète pensait à nous ! En plus de sentir esclaves de nos désirs, nous pouvons aussi l’être de circonstances que nous n’avons pas choisies.

J’ai été confrontée au paradoxe suivant : j’accepte qu’il y ait un certain nombre de circonstances qui entravent une partie de ma liberté extérieure. Mais le maître le plus exigeant n’est pas à l’extérieur, mais à l’intérieur de moi. Au fond, le plus difficile n’est pas d’être empêchée de sortir et de bouger comme je le souhaite ; le défi est plutôt de ne pas pouvoir bouger à l’intérieur de moi-même, de me sentir piégée par mes propres désirs ou aversions. J’aimerais passer toute la journée à lire mais je ne peux pas parce que mes enfants ne sont plus à l’école, j’aimerais pouvoir passer les prochaines vacances avec des amis, mais je ne le peux pas (si je décide de respecter les règles collectives qui ont été édictées). Mais je réalise qu’au fond, le confinement n’est qu’une circonstance de plus qui met davantage en lumière mes propres chaînes intérieures et me souligne que je ne peux pas échapper à la personne avec qui je passerai réellement toute ma vie, à savoir, moi-même.

Comment vivre avec soi-même ? La véritable liberté, dit Epictète, concerne ce qui est en notre pouvoir. Si nous orientons notre liberté vers ce qui ne l’est pas – la santé, l’argent, les honneurs… -, nous ne l’obtiendrons jamais pleinement, ce qui ne peut qu’engendrer la peur et l’anxiété. Cela ne signifie pas que nous ne devions pas nous battre pour obtenir une liberté extérieure – notamment la liberté politique, au nom de la justice, qui est l’une des vertus stoïciennes. Cela signifie que la liberté qui ne peut jamais nous être enlevée concerne ce qui dépend de nous, à savoir, nos jugements, nos désirs et nos aversions, et notre impulsion à agir. Vouloir ce qui n’est pas en mon pouvoir n’a aucun sens, pour la bonne raison que cela ne dépend pas de moi.

Ma vraie liberté réside donc dans la façon dont je décide de faire l’expérience d’un manque temporaire de liberté extérieure et des obligations familiales qui l’accompagnent. Travailler sur ma disposition intérieure, mes jugements et mon attitude, est mon défi, mais il est en mon pouvoir. Et cela, en soi, est libérateur.


Crédits: Photo by Roy Muz on Unsplash.

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