Stoïcisme & Bushido – Dépouillement

Stoïcisme et Bushido, même combat ?

Épisode 2 : dépouillement

Dans cette petite série estivale, je vous propose de comparer en quelques citations les points de vue d’auteurs stoïciens romains avec ceux de moines bouddhistes ou de samouraïs japonais sur des thèmes qui vous seront familiers.

Pour ce deuxième épisode, je vous propose de nous pencher sur la question des possessions, c’est-à-dire de nos biens, des objets qui nous appartiennent et du confort qui nous entoure.

Le goût pour le minimalisme transparait dans certains aspects de la culture nipponne, comme dans l’aménagement intérieur de certains temples. Cette sobriété, supposée favoriser la paix de l’esprit, trouve ses racines dans le bouddhisme. En effet, Siddhârta Gautama, qui deviendra plus tard le Bouddha, est né prince et vivait dans l’opulence. Il a fait le choix d’abandonner son palais et toutes ses possessions pour devenir un sannyâsin, littéralement « celui qui rejette » les possessions mais aussi les aspirations[1].

Cette conception des biens matériels comme un poids qui nous entrave est un élément important de la voie du moine zen comme de la voie du guerrier, le bushido. Le fondateur de l’aïkido le résume de façon limpide :

“Ceux qui ne possèdent rien ne sont possédés par rien. »

Morihei Ueshiba, L’art de la Paix

A la même époque que le Bouddha, une idée similaire voit le jour en Grèce. Les spartiates considèrent en effet le luxe et le confort d’un mauvais œil, craignant qu’ils n’engendrent chez leurs concitoyens des désirs nuisibles pour leur intérêt et celui de la Cité.

Peu de temps après, au IVème siècle avant J.-C., un certain Diogène erre dans les rues d’Athènes et de Corinthe, habillé d’un manteau élimé et muni de son bâton. Il couche à la dure, à l’entrée des temples ou dans une grande amphore. À la suite de son maître Antisthène, il est qualifié de « chien » par ses contemporains, leur école s’appellera donc le cynisme.

“Diogène était libre. […] Tout ce qu’il avait, il pouvait s’en détacher sans peine. »

Épictète, Entretiens, IV

On raconte même que Diogène, en voyant un enfant boire avec ses mains dans une fontaine, jeta sa propre écuelle en bois en se demandant comment il avait pu s’encombrer d’un objet aussi inutile[2] !

Il vante les mérites de la frugalité à son disciple Cratès, un richissime homme d’affaire qui choisit finalement de distribuer tout son argent pour suivre Diogène sur les routes. Cratès deviendra à son tour le maître de Zénon, le fondateur du stoïcisme.

À leur image, le samouraï Yamamoto Tsunetomo juge que l’amour de l’argent est un poison pour l’esprit :

« Les mœurs actuelles peuvent probablement être attribuées à l’évolution déplorable de la société qui place les valeurs pécuniaires largement au-dessus des autres. »

Yamamoto Tsunetomo, Hagakure, I, p.80

Aux premiers siècles de notre ère, cette pensée du dépouillement se fait moins radicale. Les stoïciens admettent qu’on peut posséder des biens, voire être riche (comme le fut Sénèque), à condition de ne pas en devenir l’esclave :

« Le pauvre n’est pas celui qui a peu mais celui qui en veut toujours plus. »

Sénèque, Lettres à Lucilius, Lettre II

«[…] je veux apprendre à tout perdre avec le sourire. »

Sénèque, Lettres à Lucilius, Lettre LXXXVIII

Marc-Aurèle, lui, joint les actes aux paroles. Au IIème siècle après J.-C., alors que l’Empire est bord de la banqueroute en raison des guerres à ses frontières, l’empereur philosophe refuse de lever un nouvel impôt et fait réunir les objets précieux du palais,  des vases aux couverts en argent en passant par les bijoux de l’impératrice. La vente durera deux mois et permettra de renflouer les caisses et de payer les soldats[3].

À notre époque, alors que le confort est devenu un argument de vente des tour-opérateurs et parfois même un but à part entière, si l’on en juge par les vidéos de certains influenceurs, sans doute est-il bon de se rappeler que ce que nous possédons, si on n’y prend pas garde, peut finir par nous posséder…


[1] Alexandra David-Néel, Le bouddhisme du Bouddha

[2] Diogène Laërce, LIX, VI

[3] Gustave Loisel, La vie de Marc-Aurèle, philosophe et empereur

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