La poète et auteure britannique Kate Clanchy a récemment raconté, dans The Guardian[1], la manière dont elle a accompagné ses parents, au milieu d’une pandémie où la mort est dépeinte comme le pire des maux, pour qu’ils meurent « bien ». Elle évoque l’année qu’elle a passée à leurs côtés, alors qu’ils étaient tous deux malades (sans être atteints du COVID), à discuter avec eux de la façon dont ils souhaitaient mourir quand le moment arriverait. Le souhait de ses deux parents était d’éviter l’acharnement thérapeutique et, s’ils le pouvaient, mourir chez eux. Elle a respecté leur décision.

Est-ce « bien », est-ce « mal » ? La plupart d’entre nous ont l’idée préconçue que tout doit être fait pour préserver la vie car mourir est une « mauvaise » chose. Mais est-ce vraiment le cas ? Dans l’un de ses Entretiens, Épictète explique comment faire bon usage de nos prénotions, de nos représentations. Il commence par souligner que nous avons tendance à considérer comme « bon » ce qui va dans notre sens, ce qui est à notre avantage. « Je suis porté par nature à considérer mon intérêt. Si c’est mon intérêt d’avoir un champ, c’est aussi mon intérêt de prendre celui du voisin ; si c’est mon intérêt d’avoir un habit, c’est aussi mon intérêt d’en voler à l’établissement de bains. De là, les guerres, les dissensions, les tyrannies, les complots.[2] » En bref, mon idée préconçue du « bien » agit comme un filtre que j’applique à la réalité et qui me la fait voir sous le jour qui me convient. Ce n’est pas parce que les choses sont bonnes que je les désire, écrivait Spinoza quelques siècles après Épictète, c’est parce que je les désire que je les trouve bonnes. Je désire être vivant et donc le contraire, être mort, est une mauvaise chose.

« En quoi donc devons-nous placer notre bien ? À quelle sorte de réalité appliquerons-nous ce nom ? », se demande Épictète. Sa réponse : à celle qui dépend de nous. Et ce qui dépend de nous, ce qui est en notre pouvoir, c’est le jugement exercé avec discernement. Se rendre compte qu’il n’y a pas de « bien » en soi, saisir nos impressions lorsqu’elles arrivent et se demander si nous devons les accepter et pourquoi.

Les stoïciens ont compris quelque chose bien avant que les philosophes modernes (notamment Emmanuel Kant) n’en fassent la démonstration complète : il n’y a aucun moyen pour nous, en tant qu’êtres humains, de connaître la nature des choses en elles-mêmes (les choses en soi) ; et donc le « bien » ne peut pas résider dans les choses elles-mêmes, ou dans les événements. Il réside plutôt dans les représentations que nous en avons. Ces représentations sont des représentations humaines, ce qui fait dire à Épictète que le bien est ce qui est en notre pouvoir, c’est-à-dire dans la manière dont nous pensons les choses. Cela commence par le regard que nous portons sur le monde, les idées reçues auxquelles nous décidons d’accorder du crédit.

Si la mort n’est ni bonne ni mauvaise, c’est la façon dont nous la considérons, dont nous en parlons, dont nous traitons les personnes mourantes qui peut être qualifiée de bonne ou de mauvaise. Ce sont certainement des discussions que nous devrions avoir maintenant, non seulement au niveau individuel ou au sein de nos familles, mais aussi au niveau de la société.


[1] https://www.theguardian.com/news/2021/apr/06/letting-go-my-battle-to-help-my-parents-die-a-good-death

[2] Epictète, Entretiens, Manuel, ed. Les Belles Lettres, 2019, Livre I, XXII.


Crédits: Photo by Eniola Bakare on Unsplash.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

×