Jean-Marc Bryard, Les stoïciens, Paris, Ellipses 2022.
Un bon ouvrage d’introduction au stoïcisme, clair et complet !
La question des sources
L’ouvrage s’ouvre par un préambule sur la question des sources que nous avons à disposition pour l’étude de la philosophie stoïcienne. Jean-Marc Bryard rappelle tout d’abord les sources stoïciennes dont les textes sont parvenus jusqu’à nous en intégralité (les stoïciens impériaux Sénèque, Musonius Rufus, Epictète et Marc Aurèle). Il présente ensuite de manière détaillée les sources non stoïciennes, que ce soit les compilateurs (Diogène Laërce, Aétius et Stobée) ou les commentateurs. Parmi ceux-ci, on trouve Cicéron, Plutarque, Galien, Lucien de Samosate, Aulu-Gelle, Sextus Empiricus, Alexandre d’Aphrodise et Simplicius, célèbre commentateur néoplatonicien du Manuel d’Epictète. A ces commentateurs, Jean-Marc Bryard ajoute les sources judéo-chrétiennes (Philon d’Alexandrie, Clément d’Alexandrie, Origène et Eusèbe de Césarée). Cette présentation des auteurs judéo-chrétiens prend tout son sens avec la dernière partie de l’ouvrage, consacrée au rapport entre le stoïcisme et le christianisme primitif.
La présentation exhaustive des sources qui nous permettent, aujourd’hui, de connaître la philosophie stoïcienne et de lire les stoïciens, est extrêmement utile et il est rare qu’elle soit aussi clairement mise en avant dans les ouvrages d’introduction au stoïcisme. C’est pourtant, me semble-t-il, un préambule nécessaire pour débuter la lecture des textes stoïciens : comment interpréter correctement des textes qui nous sont parvenus sous forme fragmentaire, sans connaître les auteurs ni les œuvres, c’est-à-dire le contexte littéraire et philosophique dans lequel ces fragments sont cités par les uns et les autres ? La présentation, par Jean-Marc Bryard, des auteurs et des textes dans lesquels les fragments de textes stoïciens sont lisibles, est un excellent préambule à la lecture de ces fragments.
Les trois périodes du stoïcisme antique
Suite à ce préambule tout à fait bienvenu, l’auteur présente, de manière très classique, les trois périodes du stoïcisme antique : l’Ancien stoïcisme (autour de Zénon, Cléanthe et Chrysippe), le moyen stoïcisme ou stoïcisme intermédiaire (autour de Diogène de Séleucie, Antipater de Tarse, Panétius de Rhodes et Posidonius d’Apamée), et le stoïcisme impérial (autour de Sénèque, Musonius Rufus et son élève Epictète, ainsi que Marc Aurèle, l’empereur philosophe). L’auteur profite de cette présentation historique du stoïcisme antique pour présenter les principaux stoïciens antiques, ainsi que les principes fondamentaux de la philosophie stoïcienne, mais aussi la singularité de chaque auteur, qui, par-delà l’unité doctrinale des stoïciens, ne peut être niée et fait tout l’intérêt de cette école de pensée non dogmatique.
Les trois parties de la philosophie stoïcienne
La deuxième grande partie de l’ouvrage permet à l’auteur de présenter la philosophie stoïcienne de manière plus systématique, en présentant l’une après l’autre les trois domaines ou les trois parties de la philosophie stoïcienne : la logique, la physique et l’éthique. Les principes fondamentaux du discours philosophique stoïcien y sont présentés de manière synthétique et claire, et les principaux termes grecs et latins utilisés par les stoïciens sont systématiquement précisés entre parenthèses, ce qui est très appréciable et permet de faire plus facilement le lien entre les différentes traductions françaises existantes des concepts clés du stoïcisme, que ce soit dans les traductions françaises des textes stoïciens, ou bien chez les commentateurs.
Le stoïcisme comme mode de vie
La troisième grande partie rappelle la dimension existentielle de la philosophie antique, et replace le stoïcisme conçu comme mode de vie dans le contexte de la philosophie antique. Une fois rappelé ce qui est, depuis Pierre Hadot (et son ouvrage Qu’est-ce que la philosophie antique?), une évidence, Jean-Marc Bryard résume le mode de vie stoïcien à partir des trois lieux (topoi) de l’exercice philosophique, à savoir : la discipline du désir, la discipline de l’action et la discipline de l’assentiment. S’il est heureux que l’auteur décide de présenter séparément les fondements du mode de vie stoïcien, les quelques pages qui concernent l’application des principes stoïciens dans la vie quotidienne sont trop peu nombreuses à mon goût, et ne reflètent pas suffisamment, me semble-t-il, la richesse de la tradition stoïcienne des exercices spirituels philosophiques (comme le montre de manière paradigmatique l’Introduction aux Pensées de Marc Aurèle de Pierre Hadot).
Stoïcisme et christianisme
Finalement, l’auteur conclut ce très bon ouvrage d’introduction à la philosophie stoïcienne par la question des relations entre stoïcisme et christianisme. Comme dans le cas de la philosophie antique comme manière de vivre, Jean-Marc Bryard commence par rappeler de manière assez détaillée la nature des relations entre christianisme et philosophie dans les premiers siècles de notre ère, avant de s’intéresser plus précisément aux relations entre christianisme et stoïcisme. Sont mis en évidence les points communs plutôt que les divergences du côté de la physique-théologie, puis du côté de l’éthique-philosophie. La question des passions, de la vertu et du devoir, mais aussi celle de l’égalité humaine et du cosmopolitisme sont traitées en détail. L’auteur insiste plus particulièrement sur les apports stoïciens à la pensée et au mode de vie (ou à la spiritualité) des premiers chrétiens, s’inscrivant ainsi dans la lignée des ouvrages ayant mis en évidence la relecture chrétienne des textes stoïciens (à l’image des travaux de Michel Spanneut dans Permanence du stoïcisme de Zénon à Malraux). Le christianisme est en effet le premier lieu où s’exerce, dans les premiers siècles de notre ère, l’influence du stoïcisme, mais aussi le premier exemple de la permanence, de Marc Aurèle à nos jours, de la philosophie stoïcienne.
Un grand merci pour cet article