Lessons in Stoicism (John Sellars)

Dans ce bref ouvrage, d’une soixantaine de pages, John Sellars, spécialiste de philosophie antique et co-fondateur du groupe de recherche Modern Stoicism, partage quelques leçons que nous enseignent pour lui les philosophe stoïciens de l’époque impériale. A partir de la lecture des textes de Sénèque, Epictète et Marc Aurèle, et à partir de l’exemple de leurs vies, John Sellars envisage dans ce texte la philosophie stoïcienne comme un guide pour apprendre à bien vivre aujourd’hui. Je vous propose de faire dans les lignes qui suivent un court résumé de ces sept leçons retenues par John Sellars.

Et si quelqu’un vous disait qu’une part importante des souffrances de votre vie était simplement due à à votre manière d’appréhender les choses? Je ne parle pas des souffrances physiques comme la douleur ou la faim, mais toutes ces choses qui colorent négativement la vie: l’anxiété, la frustration, la peur, la déception, la colère, le mécontentement. Et si quelqu’un prétendait pouvoir vous montrer comment éviter tout cela? Et si cette personne affirmait que ces choses sont en fait le résultat de votre manière eronnée de voir le monde? Et s’il s’avérait que la possibilité d’éviter toutes ces choses était entièrement sous votre contrôle?

Toutes ces affirmations se retrouvent dans les textes des trois grands stoïciens de l’époque impériale – Sénèque, Epictète et Marc Aurèle – qui vécurent au 1er et au 2e siècle après JC. Sénèque est célèbre pour avoir été le tuteur de Néron, Epictète est un esclave qui retrouva sa liberté et ouvrit une école de philosophie, tandis que Marc Aurèle fut Empereur de Rome. Leurs vies n’auraient pas pu être plus différentes, et pourtant, ils embrassèrent tous le stoïcisme en tant que guide pour bien vivre. […]

Depuis, les textes de ces trois stoïciens de l’époque impériale n’ont pas cessé d’inspirer les lecteurs, répondant aux enjeux quotidiens auxquels font face ceux qui essayent de trouver leur voie dans la vie – comment comprendre sa place dans le monde, comment s’en sortir quand les choses ne tournent pas rond, comment gérer ses émotions, comment se comporter avec les autres, comment vivre une vie bonne, digne d’un être humain rationnel. Dans les chapitres qui suivent, nous approfondiront certains de ces thèmes. […] Comme nous le verrons, l’image populaire du stoïcien solitaire et insensible ne rend pas du tout justice à la richesse de pensée que l’on trouve chez nos trois stoïciens de l’époque impériale. Leurs textes sont des classiques pérennes, et à raison. Leur popularité demeure intacte aujourd’hui, les nouvelles générations trouvant dans l’oeuvre des stoïciens d’utiles leçons.

John Sellars, Lessons in Stoicism, 2019, p. 1-4

Dans le premier chapitre, John Sellars rappelle que la philosophie stoïcienne peut être considérée comme une véritable thérapie de l’âme. Pour les stoïciens, la philosophie nous apporte en effet tout ce qui est nécessaire pour vivre heureux, en nous rappelant notamment ce qui importe vraiment: non pas les biens extérieurs, que ce soit la richesse ou la renommée, mais notre disposition intérieure, autrement appelée vertu.

La deuxième leçon retenue par John Sellars concerne la célèbre distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Afin de ne pas être troublé par ce qui échappe à notre contrôle, les philosophes stoïciens conseillent de focaliser notre attention et nos efforts sur ce qui dépend de nous, en particulier nos jugements, mais aussi, par voie de conséquence, sur nos désirs et nos actions. Cette leçon est d’autant plus importante que ce sont nos jugements qui vont guider nos actions, nous permettre de mener une vie droite et d’améliorer ainsi notre disposition intérieure.

La troisième leçon concerne les émotions. Loin de nier l’existence des réactions émotionnelles, tout à fait naturelles, comme la nervosité, l’excitation, la peur, ou même les pleurs, les stoïciens nous donnent les clés pour éviter les émotions violentes telles que la colère ou la jalousie. En montrant que ce sont nos jugements sur les événements auxquels nous sommes confrontés qui génèrent des émotions incontrôlables et donc mauvaises, les stoïciens montrent la voie pour éviter ce type d’émotions: prendre un moment de pause, réfléchir à l’événement en question, et poser un jugement rationnel, qui ne nie pas la réaction première que nous avons, mais qui la tempère.

La quatrième leçon concerne notre attitude face aux obstacles: non seulement les difficultés rencontrées ne sont pas des maux, pour les stoïciens, mais ce sont des opportunités pour améliorer notre disposition intérieure. L’attitude stoïcienne face aux aléas du destin est de voir dans les difficultés de la vie quotidienne un challenge en vue de progresser dans les vertus plutôt qu’une occasion de se lamenter sur ce qui ne dépend pas de nous. Dans ce cadre, l’exercice de préméditation des maux est utile et nous permet, par la visualisation de ce qui pourrait nous arriver, de se préparer au pire, et d’être prêt à le supporter lorsqu’il arrive.

La cinquième leçon concerne notre place dans le monde. Les stoïciens rappelent que l’ordre de l’univers est dicté par une série de causes que non seulement nous ne pouvons pas changer, mais qui ne pourrait pas être autrement. L’attitude stoïcienne, face au destin, est donc l’acceptation. Mais ce n’est pas un fatalisme, car en tant que partie de la Nature, les êtres humains participent, par leurs actions, à cette chaîne de causes. L’idée est plutôt de dire que certaines choses ne sont pas sous notre contrôle, et devaient de toute façon arriver, et ce pour une bonne raison. Comprendre cela permet de mieux vivre, en accord avec la Nature, c’est-à-dire en acceptant ce qui arrive et en se focalisant sur ce qui dépend de nous.

Parmi ce qui fait partie de l’ordre naturel des choses, la finitude de la condition humaine est particulièrement prise au sérieux par les stoïciens. La sixième leçon nous rappelle en effet que pour apprendre à bien vivre, il faut apprendre à mourir, ou plutôt, se préparer à mourir pour vivre pleinement sa vie. En continuité avec la deuxième leçon, les stoïciens nous rappelent que le fait de considérer la mort comme un mal est un faux jugement, qui entraîne de nombreux maux, parmi lesquels la crainte de la mort et le chagrin inconsolable face à la perte d’un être cher. Il dépend de nous de changer ce jugement, et de vivre ainsi chaque instant de notre vie avec la conscience que nous mourrons un jour, que ce soit aujourd’hui, demain, dans un an, ou dans dix ans.

La septième et dernière leçon concerne notre rapport à l’autre. John Sellars rappelle ici que la nature humaine est celle d’un être non seulement rationnel mais également sociable, et que naturellement, nous vivons en société, que ce soit dans le cade de la famille, d’une communauté restreinte, ou de la communauté universelle qui rassemble tous les êtres humains. Le cosmopolitisme stoïcien nous invite à jouer du mieux possible notre rôle au sein des différentes communautés dont nous faisons partie (en tant que père, mère, citoyen, chef d’entreprise, etc.), et de toujours garder en tête, dans nos contacts avec les autres, l’idée que nous faisons tous partie d’une même communauté.

L’épilogue conclut sur cet appel à mettre en pratique, aujourd’hui, ces leçons du stoïcisme, la lecture de cet ouvrage ne devant pas rester lettre mort:

Nous pouvons tous tirer avantage, je l’espère, des questions abordées par les stoïciens. Mais le réel avantage vient seulement, insistent-ils, si nous incorporons ces idées dans nos vies quotidiennes. Et c’est bien là que commence le travail le plus difficile.

John Sellars, Lessons in Stoicism, 2019, p. 66

L’ouvrage se termine par une liste de lecture invitant le lecteur à poursuivre l’étude et la pratique du stoïcisme comme manière de vivre: aux oeuvres de Sénèque, Epictète et Marc Aurèle, John Sellars ajoute quelques ouvrages contemporains sur le stoïcisme antique et une liste d’ouvrages prônant l’intérêt du stoïcisme pour mieux vivre aujourd’hui. Parmi ces derniers, John Sellars mentionne A guide to the good life, écrit par William Irvine (2009), Stoicism and the art of happiness, écrit par Donald Robertson (2013), The daily stoic, écrit par Ryan Holiday et Stephen Hanselman (2016), ainsi que How to be a stoic, écrit par Massimo Pigliucci (2017). A cette liste, j’ajouterais l’ouvrage fondateur du stoïcisme contemporain, A new stoicism, écrit par Lawrence Becker (1998), et le récent ouvrage de Donald Robertson, How to think like a Roman emperor (2019).

L’ouvrage de John Sellars, Lessons in stoicism (2019), peut raisonnablement être ajouté à cette liste d’ouvrages anglophones présentant de manière synthétique la pertinence du stoïcisme comme art de vivre. Et si les rayons de philosophie francophones ne manquent pas de bonne traductions des auteurs stoïciens de l’antiquité, ni d’études sur la philosophie comme manière de vivre (voir la rubrique pour aller plus loin de notre site), il est plus difficile de trouver des auteurs francophones illustrant et défendant l’intérêt du stoïcisme aujourd’hui. Si Xavier Pavie, à la suite de Pierre Hadot et de Michel Foucault, a montré l’intérêt des exercices spirituels, notamment stoïciens, pour mener, aujourd’hui, une vie philosophique, il ne se concentre pas uniquement sur le stoïcisme, n’en retenant que certains aspects qu’il juge pertinent. Les stoïciens: une philosophie de l’exigence, ouvrage écrit par Christelle Veillard (2017), est sans doute l’ouvrage le plus proche des ouvrages anglophones cités plus haut. Nous pouvons également citer l’ouvrage d’Elsa Godart, Ce qui dépend de moi (2011), dont nous ferons également un compte-rendu prochainement. Mais nous attendons encore le premier ouvrage de synthèse montrant, en langue française, l’actualité et la pertinence de la philosophie stoïcienne et défendant de manière explicite et convaincante l’intérêt d’un stoïcisme contemporain.

En résumé, cet ouvrage d’une soixantaine de pages est une excellente introduction au stoïcisme contemporain, qui s’appuie sur une très bonne connaissance du stoïcisme antique, dont John Sellars a par ailleurs présenté le système de manière théorique dans Stoicism, paru en 2006. John Sellars nous donne ici, en sept leçons assez courtes, mais basées sur la vie et l’oeuvre des stoïciens impériaux, un très bon aperçu de ce que le stoïcisme peut nous apporter dans notre vie quotidienne. Un ouvrage de cette qualité disponible en langue française serait particulièrement utile pour initier les lecteurs francophones au stoïcisme contemporain. Nous ne pouvons qu’appeler de nos voeux un tel ouvrage, que ce soit une traduction en langue française d’un ouvrage cité plus haut, ou bien la publication d’un texte original présentant, à sa manière, les enjeux du stoïcisme contemporain.

Maël Goarzin

Docteur en philosophie, auteur du carnet de recherche Comment vivre au quotidien: https://biospraktikos.hypotheses.org/

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