
Mes activités autour du stoïcisme
Depuis le mois d’avril 2025, je suis engagé au sein de l’association Stoa Gallica en tant que secrétaire. Participer à la vie de Stoa Gallica se présentait à moi comme un moyen de rendre la philosophie accessible à ceux qui pourraient y trouver du réconfort, du courage, voire un mode de vie. En effet, l’association ne fait pas seulement rayonner la philosophie stoïcienne, elle promeut aussi la thèse de Pierre Hadot. Cette troisième approche de la philosophie, pas seulement théorique, est celle d’une manière de vivre. Ce changement de perspective exerça une influence déterminante sur ma vie. C’est pour cela que j’ai saisi l’opportunité de me proposer pour le poste de secrétaire lorsqu’elle s’est présentée.
Aussi, je souhaite, dès mon entrée en master, travailler sur les exercices spirituels antiques en adoptant les outils des sciences cognitives. J’aimerais étudier les pratiques vivantes, décrire leurs effets comme on le ferait aujourd’hui. Les études autour du bouddhisme, en particulier celles sur les pratiques méditatives, m’inspirent en ce sens. Il s’agit aussi d’un prétexte pour lire les philosophes dans un cursus de psychologie !
De la quête de savoirs aux exercices spirituels
Ma rencontre avec la philosophie remonte à mes premières années de lycée :
Imaginez un adolescent de seize ans dont le modèle est… Socrate ! Etonnant ? Je crois que pour mes parents ce fut plutôt irritant. Oui, si le Philosophe réussit à énerver les citoyens d’Athènes, qu’en serait-il de ce jeune homme qui sans cesse et sur tout (et surtout mal !) questionne tout le monde ?
En effet, de lecture en lecture, j’en étais arrivé, avant la terminale, à lire l’Apologie de Socrate et le Banquet. Mon environnement familial ou scolaire n’offrait que peu de réponses satisfaisantes aux questions que je me posais. Je découvrais alors ces dialogues sur le monde et les dieux, sur la vertu et le beau, sur la nature de l’Amour… Je grandissais et mes représentations du monde étaient teintées de platonisme – un platonisme autodidacte, naïf, maladroit, mais qui m’a protégé de certaines souffrances. Mais c’est une chose que je n’ai compris que des années plus tard…
Lorsque l’on est assuré que l’on ne commet le mal que par ignorance, il est plus facile de regarder en face l’injustice, de s’ouvrir à l’autre, de supporter ce qui arrive. Les souffrances du corps, les difficultés de l’adolescence, les discriminations liées au handicap, tout se surmonte plus facilement.
Spontanément platonicien, j’ignorais pourtant que la philosophie pouvait être une manière de vivre ! On me la présentait comme une discipline littéraire, purement abstraite. Mes lectures suivantes n’ont fait que me troubler.
En effet, je continuais de bien me porter tant que je ne pouvais voir le monde qu’à travers le prisme des Dialogues. Avec d’autres lunettes, il n’était plus aussi évident de savoir ce qui était bon ou non, de se représenter les choses d’une façon qui n’agite aucune violence. Plus les modèles s’accumulaient, plus les définitions variaient, plus j’en ‘savais’ et moins je reconnaissais comment vivre.
Mon retour vers la philosophie antique s’est amorcé courant 2019. Je découvrais Edgar Morin à travers l’une de ses conférences sur la pensée complexe. Je me lançais très vite, après une introduction, sur son monument : La Méthode. Au début de ce premier volume, il disait avoir été fortement influencé par les stoïciens, épicuriens, et en particulier, par Héraclite. Je lus la traduction commentée de Marcel Conche.
Date clef : en 2020, deux nouveaux amis me recommandèrent Platon, Epictète et l’œuvre de Pierre Hadot. Je lisais les Entretiens au creux d’une période difficile et je commençais à aller mieux. Grâce à cette lecture, je sortais la tête hors de l’eau. J’achetais enfin mon exemplaire d’Exercices spirituels et philosophie antique. Cela marqua un tournant dans ma vie : les livres des philosophes n’étaient pas qu’un édifice intellectuel ; ils pouvaient mener à un refuge et, finalement, au bonheur.
Epictète devint pour moi un second Socrate. J’avais compris que je n’avais pas assez compris le platonisme ; je m’en étais éloigné et il était trop tôt pour y revenir, la métaphysique néoplatonicienne était encore trop difficile. Il me fallait une base accessible, qui puisse m’aider à bien vivre. Le stoïcisme me tendait la main.
Il a fallu que j’apprenne à lui faire confiance. Certains passages heurtaient mes conceptions du monde d’aujourd’hui ; je craignais que ces paroles ne soient dépassées. Elles me mettaient mal à l’aise et je me sentais jugé. C’est que l’écart était trop important et que j’étais trop habitué à critiquer seul dans mon coin.
Par chance, j’étais bien accompagné. Cela m’a permis d’approfondir les textes et de me rendre compte que mon malaise venait de ma propre incompréhension. Dans ce parcours, La Citadelle Intérieure de Pierre Hadot m’a bien aidé à clarifier ma pensée. J’ai notamment revu ma vision de l’un des principes fondamentaux du stoïcisme « seul ce qui dépend de nous peut être bien ou mal ». Je me méprenais sur le sens de ce « nous » jusqu’à ce que je lise comment Marc Aurèle s’exerce à « circonscrire le moi ». D’autres idées reçues se sont pareillement dissipées. À travers la plume d’Hadot, je redécouvrais un stoïcisme moins spartiate, empreint de patience et d’amour. Ses commentaires révélaient, sous le sérieux et la discipline, l’extase joyeuse de la contemplation du divin, la piété du philosophe stoïcien.
Les premiers fruits de la pratique
Il est clair que le stoïcisme a empreint mon expérience du monde, des exercices spirituels écrits et volontaires à la correction, lorsque je les saisi, de mes représentations. S’il me fallait élire ce que le stoïcisme m’a apporté de plus personnel, je nommerais la reconnaissance envers mes parents et un engagement en tant que citoyen du monde.
En effet, je suis né avec un handicap qui a nécessité de nombreuses opérations les premières années de ma vie et une attention constante les suivantes. Mes parents ont assumé ces épreuves héroïquement, sans jamais que je ne me sente autre chose qu’aimé. Sans la philosophie – mais surtout les paroles de ma compagne –, j’aurais pu continuer à appréhender ce que j’ai toujours connu comme une normalité, aussi reconnaissant qu’un fier jeune homme. J’aurais pu les perdre sans avoir le temps de passer avec eux ces moments simples, en ayant fermement à l’esprit tout ce que je leur dois.
Ensuite, le concept des kathekonta est l’un de ceux que j’ai le plus médité. Il permet d’identifier, par une alternance entre l’observation de notre place dans le monde et l’introspection sur nos dispositions, ce qui semble être des actions bonnes, appropriées à chaque champs de notre existence – que ce soit par rapport à nous-même, à notre famille mais aussi notre société, l’humanité, les dieux… Cela nous responsabilise tout à fait ; c’est ce que je trouve rassurant et engageant. Il ne s’agit pas de s’en tenir à une liste rigide de devoirs imposés mais d’observer et comprendre le rôle qui nous a été attribué, de le jouer du mieux possible. Lorsque j’arrive à être pleinement immergé dans cette pensée, même les tâches d’ordinaire les plus pénibles me procurent de la joie, un sentiment de dialogue avec la Nature.