Samedi 11 octobre 2025, Paris a vécu au rythme de la philosophie pour rendre hommage à Pierre Hadot (1922-2010), philosophe et historien de la philosophie, à l’occasion des quinze ans de sa disparition. Figure majeure de la pensée contemporaine, Pierre Hadot a profondément renouvelé notre compréhension de la philosophie antique en la présentant comme une manière de vivre, indissociable des exercices spirituels qui façonnent le choix de vie philosophique.
Cet hommage, co-organisé par le Cercle des Amis de Pierre Hadot, l’association Stoa Gallica et le cercle philosophique Le Jardin de Philodème, s’est déroulé dans deux lieux symboliques : l’allée Pierre Hadot, au cœur du 5ᵉ arrondissement, puis le prestigieux amphithéâtre du Collège de France, où Hadot enseigna de 1982 à 1990. Ouvert à toutes et à tous, cet événement a réuni près d’une centaine de participants – chercheurs, passionnés et curieux – pour un après-midi riche en échanges, témoignages et réflexions. Retour sur les moments forts de cette journée.
De l’allée Pierre Hadot au Collège de France: un hommage en deux temps
La première partie de la rencontre s’est tenue sur l’allée Pierre Hadot, dans une atmosphère conviviale et participative. Huit personnes ont partagé des témoignages spontanés, évoquant leurs souvenirs, leurs rencontres avec Pierre Hadot ou l’impact de ses écrits sur leur vie et leur travail. Ces échanges ont été suivis d’une discussion en petits groupes, nourrie par la lecture à voix haute d’extraits choisis de son œuvre. Ce moment d’écoute et de dialogue a permis à chacun de s’approprier les textes et de réfléchir ensemble à leur actualité.















Au programme ensuite, au Collège de France : des interventions de personnalités qui ont bien connu Pierre Hadot ou dont les travaux prolongent son héritage, suivies d’une présentation d’initiatives contemporaines inspirées par sa pensée. Une occasion unique de mesurer combien son œuvre continue de nourrir la recherche académique et d’inspirer des pratiques philosophiques vivantes.
Philippe Hoffmann – Pierre Hadot, helléniste et philologue

Philippe Hoffmann a mis en lumière la dimension scientifique de l’œuvre de Hadot, fondée sur une méthode philologique rigoureuse. Il a montré comment Hadot liait exactitude et exercice spirituel, en faisant de la critique des textes un acte philosophique. Ses travaux sur Marc Aurèle et Plotin illustrent une approche qui conjugue analyse grammaticale et empathie pour la pensée, inscrivant la philosophie dans son contexte historique et social.
« Ce qui m’a toujours frappé chez Pierre Hadot, c’est cette volonté d’épouser la pensée de Plotin dans son jaillissement même, sous un mode de sympathie et d’empathie, tout en maintenant intact les exigences de la critique philologique et de la méthode historique. »
Anne-Lise Darras-Worms – Discours et vie philosophique

Anne-Lise Darras-Worms a insisté sur l’indissociabilité entre discours philosophique et manière de vivre, cœur de la pensée de Hadot. Elle a souligné son apport novateur sur l’importance des formes littéraires et de l’oralité dans les textes antiques, ainsi que la fonction performative du discours. Traduire et commenter Plotin, à la manière de Hadot, devient ainsi un exercice spirituel, une manière de lire et de vivre.
« Il nous a appris à lire un texte, pas à l’interpréter d’abord, mais à le lire, à s’intéresser à la manière dont les anciens exposaient leurs thèses et leurs argumentations. C’est une manière de lire qu’il nous a enseignée et c’est donc aussi une manière de vivre. »
Yoko Orimo – Une rencontre intellectuelle et spirituelle

Yoko Orimo a témoigné de sa rencontre avec Pierre Hadot à travers la préface qu’il écrivit pour son ouvrage sur Dôgen. Elle a évoqué la bonté et la profondeur humaine de Hadot, et montré comment son œuvre réconcilie philosophie et sagesse. Elle a proposé l’idée d’une « spiritualité laïque » inspirée par son exemple, capable de répondre aux besoins spirituels contemporains sans dogmes ni institutions.
« Si je devais choisir un seul mot pour qualifier la personnalité de Pierre Hadot, ce serait la bonté… une bonté pure, simple, profonde et que j’ai rarement trouvée par ailleurs. »
Frédéric Worms – Une phrase fondatrice et ses résonances

Frédéric Worms a analysé la phrase de Bergson qui marqua Hadot en 1939 : « La philosophie n’est pas une construction de système, mais la résolution une fois prise de regarder naïvement en soi et autour de soi ». Il a montré comment cette intuition annonce toute la pensée de Hadot et posé la question de la pertinence des exercices spirituels face aux crises actuelles – guerres, injustices, effondrement écologique – en soulignant leur rôle pour résister au négatif.
« Quand on me demande ce que je fais, je ne dis jamais que je suis un philosophe… Mais s’il y a eu un philosophe que j’ai rencontré, c’est Pierre Hadot. »
Michael Chase – Le mouvement international Philosophy as a Way of Life (PWL)

Michael Chase a présenté le développement mondial du mouvement « Philosophy as a Way of Life » (PWL), inspiré par Hadot. Il en a décrit les principes : transformation de soi, ouverture démocratique et interculturelle, dialogue avec les sciences et les traditions spirituelles. Il a montré comment cette approche répond aux défis contemporains et s’inscrit dans une dynamique académique et pratique internationale.
« Depuis que l’œuvre de Pierre Hadot a commencé à être mieux connue dans le monde anglophone, cette orientation est devenue une discipline largement reconnue dans le monde universitaire. »
Maël Goarzin – Stoa Gallica, laboratoire du mode de vie stoïcien

Maël Goarzin a présenté Stoa Gallica comme un espace d’expérimentation du stoïcisme contemporain, fidèle à l’esprit de Hadot. L’association conjugue étude des textes et mise en pratique des exercices spirituels, à travers des portiques locaux, des journées stoïciennes et des formations. Elle vise à réactualiser la philosophie antique pour répondre aux crises actuelles et promouvoir une philosophie incarnée, communautaire et ouverte à tous.
« Il ne s’agit pas de reconstruire le mode de vie stoïcien tel qu’il existait il y a 2000 ans, mais d’en retrouver les principes fondamentaux et de les adapter aux réalités du monde contemporain. »
Ludovic Jeanne – Le Jardin de Philodème, réinventer l’épicurisme

Ludovic Jeanne a décrit la création d’un jardin épicurien contemporain, fondé sur la sobriété, la frugalité et l’amitié. En dialogue avec les sources antiques et l’œuvre de Hadot, l’association propose une pratique philosophique locale, loin des excès consuméristes, et ouverte à des passerelles avec d’autres traditions spirituelles. Elle incarne un matérialisme spirituel réactualisé, en réponse aux défis écologiques et existentiels.
« Comment être disciple d’Épicure à l’ère de la globalisation ? C’est la question qui nous guide dans cette expérimentation. » Ludovic Jeanne
Conclusion
Cet hommage a montré que l’œuvre de Pierre Hadot demeure vivante : la philosophie n’est pas seulement un discours, mais une manière de vivre. De la philologie à la pratique communautaire, son héritage inspire aujourd’hui des chercheurs et des associations qui prolongent son appel à « faire de la philosophie le choix d’un mode de vie ».
Un grand merci aux intervenants pour la richesse de leurs témoignages, aux participants pour la qualité des échanges sur l’allée Pierre Hadot, ainsi qu’aux co-organisateurs – Ludovic Jeanne, Maël Goarzin et Jean-Claude Brémaud – pour leur engagement. Nos remerciements vont également au Collège de France pour son accueil chaleureux.





