Un seul de ces êtres suffirait à faire reconnaître la Providence, si l’on est honnête et reconnaissant ; ne parlons pas de grandes choses ; le lait qui provient de l’herbe, le fromage qui vient du lait, la laine qui vient de la peau, qui a fait, qui a imaginé tout cela ? Personne, dit-on ! Quelle inconscience ! Quelle impudence !

Epictète, Entretiens, I, 16, 7-8

Tout ce que vous devez atteindre, pour bénéficier du conseil d’Epictète ci-dessus, c’est un certain niveau d’appréciation du fait de vous trouver vivant dans un cosmos que vous n’avez pas créé et dans lequel vous est offert, en même temps que son lot de problèmes et de conflits, d’abondantes opportunités pour l’émerveillement et la joie.

Nous devons exprimer de l’humilité, une reconnaissance claire que chaque moment de notre existence, ainsi que tout ce que nous avons et sommes, est un cadeau. A travers l’humilité, c’est-à-dire l’acceptation de la vie comme un cadeau immérité, arrive ensuite la gratitude.

Quand nous portons un regard objectif sur tout ce pour quoi nous devons être reconnaissant(e)s, notre gratitude peut être un puissant antidote aux effets corrosifs du cynisme, de la colère, de la tristesse, et de l’accumulation des déconvenues mesquines de la vie. En se remémorant l’abondance souvent méconnue dans nos vies, cela peut nous aider à modérer l’accaparante avidité de possession qui parfois semble nous guider. Enfin, la gratitude peut nous aider à regagner notre sens de l’émerveillement.

Prenez une minute ou deux chaque jour pour reconnaître explicitement ces choses, personnes, et événements de votre journée pour lesquels vous êtes particulièrement reconnaissant. Vous pouvez garder des notes écrites de vos réflexions en écrivant chaque jour trois choses au sujet desquelles vous vous sentez reconnaissant (journal de gratitude). Vous pouvez même choisir de suivre l’exemple de Marc Aurèle et écrire à propos des personnes dans votre vie pour lesquelles vous éprouvez de la gratitude pour vous avoir aider à modeler votre caractère, pourvoyant pour votre éducation, et encourageant votre développement spirituel et philosophique.

Vous pouvez également vous rappeler des circonstances plus larges de votre vie qui s’appliquent :

  • La présence ou le souvenir joyeux d’êtres chers
  • Une nature rationnelle, un esprit conçu pour l’apprentissage
  • L’aptitude et la volonté de s’élever au-dessus des circonstances difficiles
  • Une bonne santé
  • Un travail utile
  • La gentillesse inattendue de certains
  • La capacité de faire le bien
  • La Nature : sa puissance, sa beauté, et son infinie variété
  • etc.

Vous pourrez alors noter l’impact qu’a cette pratique sur votre vie, augmentant votre patience, ramenant votre attention sur les petits plaisirs de la vie, et de manière générale améliorant votre résilience dans les temps difficiles. Il a en effet été constaté que pratiquer activement la gratitude augmentait notre bonheur.

Côté exercices pratiques, commencez par la gratitude intérieure, c’est-à-dire le fait de remercier de manière privée et intériorisée. Puis passez à la gratitude extérieure, qui se concentre sur l’expression publique de cette gratitude. Exprimez votre gratitude en écrivant des lettres aux êtres qui vous sont chers et/ou à des collègues. Une manière disciplinée de faire cela en pratique est de le faire en routine le matin en même temps que vous prenez votre café/thé. Ecrivez deux courts mails chaque matin à des amis, à de la famille, à des collègues (mettez à jour votre liste de gratitude), les remerciant pour ce qu’ils font. Et puis, la meilleure manière de désarmer un interlocuteur énervé c’est souvent avec un chaleureux « merci ». Finalement, exprimez de la gratitude pour des choses inutiles et/ou insignifiantes que vous expérimentez – une odeur dans l’air, l’extrait d’une chanson qui vous rappelle votre jeunesse, etc.

Une autre technique consiste à sourire de manière forcée pendant 20 secondes tout en plissant les muscles faciaux, notamment ceux autour des yeux appelés orbicularis oculi (ceux qui créent les pattes d’oie), cela stimulerait l’activité du cerveau associée aux émotions positives.

Ce n’est qu’en contemplant le mal que l’on peut vraiment apprécier le bien, la gratitude n’arrive pas quand on considère les choses comme allant de soi. C’est justement cette gratitude qui nous laisse alors satisfait de céder le contrôle à ce que le monde a déjà retiré de notre contrôle de toute façon.

Il est sensé l’homme qui ne s’afflige pas de ce qu’il ne possède pas, mais se réjouit de ce qu’il possède.

Epictète, Fragments, CXXIV.

Références:

Choose to be grateful. It will make you happier. – Arthur C. Brooks

Stoic Gratitude & Wonder – Mark Garvey

A lire aussi sur le blog de Stoa Gallica:

La gratitude stoïcienne – Santara Gonzales


Crédits: Photo de Wilhelm Gunkel sur Unsplash

4 commentaire

  1. La gratitude nous grandit, oui…c’est immense, c’est une expansion de nous-même.
    Gratitude pour avoir rédigé cet article !

    1. Bonsoir j’ai une petite contribution à y ajouter car c’est presque parfait votre analyse et conseil mais il ya un adage qui dit qu’on donne avec le cœur et on récupère avec le cœur, en effet la gratitude est comme l’ambition un vertu qu’on peut acquérir que par la bonté et la sagesse…

  2. Merci pour cet article intéressant, passionnant, précieux, plus important que de très nombreux articles qui circulent sur de très nombreux sites ou magazines, puisque l’article que vous avez écrit nous rappelle une des choses les plus importantes pour notre vie. Ce rappel devrait être au sommet de nos priorités. La gratitude est une manière de vivre à elle seule, qui pourrait guider l’ensemble de nos actions : l’on peut agir par gratitude et non pas seulement « dire merci ». L’on peut, par reconnaissance, rendre service aux autres, agir pour le bien, rendre l’appareil de ce qui nous a été donné. La gratitude peut s’ériger en actions et déterminer l’ensemble de notre manière de vivre. La vie nous a été donnée : en la considérant avec reconnaissance, notre vision du monde est déjà pure. Nous voulons, par gratitude, agir pour rendre fiers nos parents : cela peut guider l’ensemble de nos actes. Mais aussi, pour se rendre « digne de Zeus », d’un point de vue polythéiste stoïcien. Nous pouvons, comme le faisaient les polythéistes stoïciens, mener une vie de reconnaissance envers les dieux, en agissant avec piété dans tous nos faits et gestes, avec attention (prosoché). Nous pouvons, comme Marc Aurèle, être reconnaissant envers tous nos bienfaiteurs qui nous ont permis d’en être là où nous sommes, et nous pouvons même remercier les difficultés envoyées par la vie, comme le faisait un stoïcien méconnu dont j’ai oublié le nom.

    Je suis reconnaissant envers la vie de m’avoir mis sur le chemin des enseignements de Sénèque, Epictète, Marc Aurèle et de la philosophie antique en général. Je remercie chaleureusement Stoa Gallica et ses membres pour leur travail bénévole, utile au bien commun. Je vous remercie Jérôme, pour cet article nous rappelant l’attitude de gratitude, attitude qui est la clé du bonheur, ce qui est démontré par les études scientifiques les plus récentes. Faire un don pour Stoa Gallica pourrait aussi être un acte de gratitude pour votre travail. Je me dis que si je me trouvais plus riche, je donnerai une partie de ma richesse pour votre association, qui me tient à coeur. A défaut d’être riche, l’on fait ce que l’on peut, l’on donne de son temps, de ses idées, de son travail, l’on donne ce que l’on peut donner. Merci à l’association Stoa Gallica de faire (re)vivre le stoïcisme, la philosophie « véritable » à mon sens, l’héritière de Socrate qui a traversé les âges et qui est encore populaire de nos jours ! Merci à Stoa Gallica pour son travail bénévole qui bénéficie à chacun, un travail bien plus digne que ne peut l’être le travail dans une association politique ou un parti politique à mon sens. La véritable politique, c’est de contribuer au bonheur de chaque individu, de donner les clés à chaque individu pour mener une vie libre, épanouie, heureuse, accomplie, et c’est à cela que vous travaillez, vous êtes en cela les véritables politiciens dont ce monde a besoin. Cet article sur la gratitude rappelle à chacun l’attitude fondamentale et clef pour mener une vie heureuse, en cela il est bien plus utile que les discours de tous les politiciens ! Il est un article politique au sens véritable du terme : la lutte pour le bien commun, pour l’épanouissement de tous les individus, car quel autre but la politique se donnerait-elle sinon celui-ci ? Merci, donc, pour le combat « politique » véritable que vous menez.

    1. Jérôme Robin

      Merci pour votre commentaire.

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