Un ouvrage écrit à 4 mains, par un psychologue et un philosophe amis de longue date, sur les bienfaits du calme. Un ouvrage apaisant, dont je recommande vivement la lecture !
Le point de départ de leurs réflexions ? Le rythme accéléré de nos vies quotidiennes et l’agitation intérieure qui nous caractérise bien (trop) souvent.
Le remède qu’ils explorent dans ce livre, dont je vous propose ici un compte-rendu ? Le calme intérieur et extérieur. Gaëtan Cousin et Konstantin Büchler distinguent en effet le calme intérieur du calme environnemental, qui sont étroitement liés (p. 13). Pour les deux auteurs, l’accélération de notre rythme de vie et l’agitation intérieure sont deux phénomènes souvent concomitants, qu’il s’agit donc de traiter ensemble, ce qui est le cas tout au long de l’ouvrage.
« Nous avons décidé d’écrire ensemble un livre sur un thème connexe à l’accélération du temps social et à la surstimulation perçue, mais à partir d’un angle positif, à savoir celui de notre besoin de calme. »
Vous trouverez ici le compte-rendu de cet ouvrage, agrémenté de quelques citations issues de mon entretien avec Konstantin Büchler, que vous pouvez lire en intégralité sur mon carnet de recherche.
Une hypothèse forte de l’ouvrage consiste à déterminer la cause de l’agitation actuelle. Pour Konstantin Büchler et Gaëtan Cousin, cette agitation s’explique par la recherche permanente d’intensité (p. 19). Sans remettre en cause toute expérience forte ou intense, les auteurs pointent du doigt la quête sans fin d’intensité (p. 20), dont l’accélération de nos vies quotidiennes serait un symptôme parmi d’autres (p. 37). Face à ce constat, les auteurs montrent l’intérêt de réintroduire dans nos journées et nos semaines des moments de calme, c’est-à-dire de faible ou de moyenne intensité, pour atteindre une vie plus riche, pleine de sens, moins automatique (p. 38). En d’autres termes, ils nous invitent à changer de mode de vie, en adoptant un rythme de vie plus lent, du moins à certains moments de nos vies quotidiennes. Les auteurs remettent ainsi en cause la recherche constante d’intensité ou de plaisir comme fin, et rappellent par contraste l’importance de trouver du sens à ce qu’on fait, de trouver une place dans le monde (p. 43).
Pour cela, les auteurs utilisent les données de la recherche la plus récente en psychologie, ainsi que les outils pratiques des philosophes, de l’Antiquité à nos jours. Les stoïciens Sénèque et Marc Aurèle, Epicure, mais aussi Montaigne, Rousseau, Thoreau, ou encore Bertrand Russel sont mobilisés pour ouvrir des pistes sur l’intérêt du calme et la manière de le susciter (p. 22-24).
« Certaines intuitions du passé à propos du calme et de la vie bonne, conservées par l’histoire de la philosophie, peuvent, aujourd’hui et en partie du moins, être confrontée à des données expérimentales. Et en retour, il est possible de proposer une interprétation philosophique englobante de ces données, d’offrir une théorie englobante de nos intérêts individuels et collectifs, de la désirabilité et de l’acceptabilité des modes de vie motivés par une certaine classe de valeurs, à savoir les valeurs qui structurent nos expériences vécues. »
L’une des pistes importantes étudiée dans ce livre est celle proposée par Thoreau et Marcel Conche, deux auteurs qui s’inscrivent assez nettement dans la tradition épicurienne. Cette piste consiste à limiter nos désirs à nos besoins fondamentaux pour travailler moins et profiter davantage du temps à disposition. Esquissée une première fois au chapitre 3, elle est développée davantage encore au chapitre 6. Cette piste s’oppose clairement au consumérisme concomitant au capitalisme et à l’injonction encore forte à travailler plus pour gagner plus (p. 63). Face à la valeur travail et la valeur accordée à l’action, les auteurs appellent à réapprivoiser le temps libre, à apprendre à s’ennuyer (p.75), à être plutôt qu’à toujours faire (p. 70).
« Notre besoin de calme est trop souvent contrarié par un besoin débridé d’intensité. (…) De nombreux philosophes ont dénoncé les plaisirs vains et appelé à revenir à la satisfaction de besoins et à se contenter de désirs simples (que ces derniers soient un moyen de répondre à nos besoins ou que ces derniers agrémentent légitimement la vie une fois les besoins comblés). Platon et Épictète, pour ne citer qu’eux, rejettent, comme Épicure, les désirs vains de richesse, de gloire et de pouvoir. »
Le chapitre 4 s’attarde sur les bienfaits du calme, et commence par un éloge de la lenteur (incarné actuellement par le mouvement slow). Le calme favorise en effet la contemplation, ce que confirment les références à Marc Aurèle et à Sénèque (en particulier dans son Eloge de l’oisiveté) (p. 112 et 114). Le calme favorise également le silence, et donc l’expérience esthétique (p. 114). De manière générale, le calme environnemental permet de maintenir ou de susciter des états de sérénité plus grands (p. 115), et favorise aussi la pleine-conscience (p. 116). De même, le calme favorise l’apprentissage et la réflexion (p. 117), ce qui justifie notamment la marche dans la nature ou la lecture au calme, occupations que l’on retrouve également régulièrement chez les philosophes de l’Antiquité (p. 118-120). Le calme permet ainsi le retour sur soi si cher aux philosophes antiques (p. 123), mais favorise également les relations humaines (p. 125).
« Ce que les philosophes que nous citons et la psychologie contemporaine soulignent de concert, c’est que favoriser le calme, environnemental et encore davantage intérieur, favorise notre disponibilité mentale à toute une série d’expériences positives, qui produisent elles-mêmes des effets vertueux. (…) Les différentes manifestations externes et internes du calme favorisent notre disponibilité mentale à des expériences plus complexes, plus significatives et plus intenses. »
La conclusion du chapitre 4 pose le calme comme dénominateur commun au bonheur (p. 140). Le calme serait, selon Gaëtan Cousin et Konstantin Büchler, une dimension importante de l’expérience vécue, une dimension nécessaire au bonheur, même si ce n’est pas la seule. Ils fondent ainsi la désirabilité du calme sur la désirabilité du bonheur, qui peut être considéré comme le but de notre existence. Le point de départ de leur réflexion prend donc appui ou du moins fait écho à l’eudémonisme de la philosophie antique. Les auteurs évoquent d’ailleurs dans ce chapitre la différence entre les stoïciens et les épicuriens quant à la manière d’atteindre ce bonheur. Pour les stoïciens, en effet, l’environnement extérieur importe peu, car l’être humain a la possibilité d’établir une citadelle intérieure qui le protège de l’agitation extérieure et lui permet de conserver la sérénité en toutes circonstances (p. 136-137). Pour les épicuriens, au contraire, les besoins fondamentaux, tant physiques que psychiques, doivent être comblés pour garantir le bonheur défini comme ataraxie et comme aponie, c’est-à-dire comme absence de troubles psychiques et physiques.
« Selon nous, la compréhension de l’impact de l’environnement sur nos états et nos comportements, d’un côté, et le développement de la capacité à rester calme dans un contexte défavorable, de l’autre, sont ensemble pertinentes et se complètent sans entrer en contradiction. Cela s’explique par le fait que, à nos yeux, le calme extérieur n’est pas nécessaire au calme intérieur et, par extension, au bonheur, mais peut toutefois jouer un rôle facilitateur, utile à la poursuite du calme. »
Le chapitre 5 est consacré aux pistes proposées par la philosophie et la psychologie pour esquiver l’agitation extérieure ou environnementale : comment se protéger de l’agitation qui se trouve dans notre environnement quotidien ? Parmi les pistes proposées, il convient de se créer des moments d’arrêt tout au long de la journée (p. 145). Non pas une retraite d’une semaine que l’on pourrait s’offrir une fois par année, mais plusieurs moments par jour, au quotidien. On retrouve ici l’importance de l’effort répété propre à l’exercice spirituel philosophique, mais aussi l’idée d’Epictète selon laquelle il convient, pour changer une habitude, de commencer par les petites choses (Entretiens, IV, 1, 111).
Par ailleurs, Gaëtan Cousin et Konstantin Büchler recommandent de passer du temps dans la nature, dont l’effet apaisant a été démontré scientifiquement (p. 148). L’exercice de contemplation de la nature, pratiqué par les stoïciens notamment, mais aussi par Thoreau, s’inscrit dans ce cadre (p. 150). En outre, il convient de se ménager des espaces de solitude, une solitude choisie, et donc bien vécue, plus ou moins longue et récurrente selon les tempéraments (p. 155). Là encore, l’attention accordée aux différences de caractère ou de tempérament, fait largement écho aux propos stoïciens concernant les différences individuelles qu’il convient de prendre en compte dans le choix de nos activités quotidiennes (c’est le cas, par exemple, dans le choix des activités physiques, mais aussi dans le choix d’une profession ou d’une autre).
« Si nous choisissons un mode de vie plus propice au calme et que nous nous appliquons à un certain entraînement, nous sommes capables de convertir nos choix les plus avisés en habitudes bénéfiques et les savoir-faire internes qu’elles impliquent en compétences stables (ou « vertus »). (…) A force de répétition, un nouveau comportement passe d’une action non spontanée à une habitude intériorisée, automatisée. »
Les auteurs abordent aussi dans ce chapitre une question qui semble centrale aujourd’hui : la place du travail rémunéré dans notre existence. Cette réflexion est nécessaire à un changement de mode de vie, vers plus de calme, de temps morts, etc. (p. 163). Enfin, Gaëtan Cousin et Konstantin Büchler insistent sur le sens que les activités que nous choisissons doivent avoir pour nous (p. 165). Il s’agit, de ce fait, de travailler à la cohérence de nos actions et de nos valeurs (p. 166). Poursuivre une activité qui a du sens dans un environnement agité permettrait en effet de conserver la sérénité, confirmant l’intuition stoïcienne selon laquelle la construction d’une citadelle intérieure permet de conserver la tranquillité de l’âme dans toutes les circonstances (p. 167).
Le chapitre 6, enfin, apporte quelques pistes afin de résister à la recherche perpétuelle d’intensité, cause principale de l’agitation intérieure et du rythme effrénée de nos vies quotidiennes. Pour cela, les auteurs nous invitent à distinguer nos besoins de nos désirs, selon la classification épicurienne des désirs naturels et nécessaires d’une part, naturels et non nécessaires d’autre part. Cette distinction, reprise notamment par Marcel Conche, permet de se débarrasser du superflu en favorisant les plaisirs simples de l’existence (p. 177). Il s’agit enfin, pour Gaëtan Cousin et Konstantin Büchler, de trouver un rythme de vie qui nous convienne, ni trop lent, ni trop rapide, ni trop intense, ni trop ennuyeux (p. 197), à la recherche d’un équilibre propre à chaque individu.
Cerise sur le gâteau de cet ouvrage que je vous recommande une fois encore : les auteurs ne se contentent pas d’un discours parfaitement élaboré, mais témoignent également de la mise en œuvre de ces bienfaits du calme dans leur propre existence, comme le confirment ces propos de Konstantin Büchler, issus, une fois encore, de l’entretien qu’il a généreusement accepté de m’accorder :
« Je crois pouvoir dire que je cherche à mettre en pratique une bonne partie des pistes esquissées dans notre livre, bien qu’à des degrés divers.
Pour résister à la recherche d’intensité, je veille à distinguer entre besoins et désirs en me posant les questions que nous avons proposées (p. 176) : (1) ”Cette chose que je souhaite obtenir m’apportera-t-elle un bien-être physique ou psychologique suffisamment important et durable pour que soit justifiés le temps et l’énergie que je consacrerai à l’obtenir ?” ; (2) ”Répondre régulièrement à ce genre d’envie est-il compatible avec ma conception de la meilleure vie possible (ou avec ma conception d’une vie suffisamment bonne) ?” J’essaye de soumettre mes envies à ce test de façon systématique.
Je préfère réaliser mes projets en prenant le temps d’en peser les tenants et les aboutissants, tout en veillant à la qualité du travail fourni, dans les limites de mes forces, lors de chaque étape de la réalisation. Je parviens aujourd’hui à accepter des projets si, et seulement si, ils font sens pour moi, c’est-à-dire si, et seulement si, je les juge opportuns, faisables, utiles et moraux. »
Pour aller plus loin
Du calme. Entretien avec Konstantin Büchler, Comment vivre au quotidien, 6 juillet 2022.
Le calme, cet éden que l’on désire et que l’on redoute en même temps, Le Temps, 23 avril 2022.
Du calme !, RTS, 21 mai 2022.