Nassim Nicholas Taleb, le stoïcisme comme protection contre les dangers du hasard

Nassim Nicholas Taleb, un rapport inattendu avec le stoïcisme

Nassim Nicholas Taleb a jusqu’à récemment été professeur d’ingénierie du risque à l’université de New York. Il est l’auteur d’une série de livres nommée Incerto dont est tiré le passage présenté ci-dessous. Ses livres s’intéressent principalement au problème de l’incertitude d’un point de vue épistémologique, ainsi que ses retombées pragmatiques sur notre gestion humaine de l’incertitude. Au début de sa carrière, avant d’être écrivain et universitaire, il fût trader sur les marchés financiers, où il a acquis une expérience concrète du risque et de l’incertitude. Monde dont il ne tarie pas de critique, surtout vis-à-vis de ses anciens collègues qui n’avaient aucune conscience des risques qu’ils prenaient.

Nassim Nicholas Taleb est aujourd’hui un écrivain et intellectuel célébré pour ses livres et dont les idées sont reprises et répandues dans plusieurs domaines.

Le hasard ne dépend pas de nous

Dans Le hasard sauvage, premier livre de l’Incerto, la thèse principale de Nassim Nicholas Taleb est que le hasard influe sur nous de manière imprévisible. Et malgré tout ce que l’on peut se laisser croire, malgré notre certitude que nous pouvons maîtriser l’avenir, penser savoir ce que le hasard nous prépare est une idée illusoire, ce que l’auteur démontre tout au long du livre.

L’attitude qu’il recommande face au hasard, que l’on ne peut pas maîtriser et qui peut nous causer beaucoup d’ennuis, est celle des stoïciens, c’est-à-dire de rester ferme et droit, de ne pas se laisser emporter par ses émotions, dont le débordement ne fait qu’aggraver les choses. L’attitude à avoir face au hasard est de rester toujours digne, quel que soit le résultat, et quels que soient les effets sur nos vies. Car le hasard ne dépend pas de nous, mais notre attitude face à lui, si.

Ce que Nassim Nicholas Taleb appelle le hasard est ce que les stoïciens auraient appelé le destin, le sort ou la fortune. Le monde suit son cours, des événements qui ne dépendent pas de nous arrivent, et ils ne nous sont pas toujours favorables. C’est notre sort. Qu’en faisons-nous alors ? Le meilleur usage possible, voudraient les stoïciens. Accepter ce qui ne dépend pas de nous, et agir sur ce qui dépend de nous.


Le hasard sauvage. Comment la chance nous trompe

par Nassim Nicholas Taleb*

* Le hasard sauvage. Comment la chance nous trompe, dans Incerto, Paris, Les Belles Lettres, 2020, p. 268-269.

« Un peu d’histoire. J’ai dit que le stoïcisme avait peu à voir avec la notion d’indifférence qu’il véhicule aujourd’hui. Le fondateur de l’école stoïcienne était un Phénicien chypriote, Zénon de Kitium. Cette pensée se développa ensuite à l’époque romaine pour devenir une sorte de principe de vie reposant sur un système de vertus – au sens ancien de virtu, c’est-à-dire que la vertu trouve sa récompense en soi. Là se développa le modèle social du stoïcien, comme celui du gentleman à l’époque de l’ère victorienne. Le stoïcien est une personne alliant la sagesse et le courage à des relations honnêtes avec les autres. Ainsi sera-t-il préservé des bouleversements de la vie car il sera au-dessus des bassesses que nous inflige l’existence. Les choses peuvent être poussées à l’extrême : l’austère Caton trouvait dégradant d’éprouver des sentiments. Sénèque nous en offre une vision plus humaine dans ses Lettres à Lucilius, œuvre apaisante, très accessible, que j’ai l’habitude d’offrir à mes amis traders (Sénèque mit lui aussi fin à ses jours lorsqu’il se retrouva piégé par le destin).

Du hasard et de l’élégance

Le lecteur sait ce que je pense des conseils non désirés et des sermons sur la bonne manière de se comporter. Souvenez-vous que les idées s’effacent quand les émotions entrent en jeu : nous n’utilisons plus notre cerveau rationnel une fois sortis de la salle de classe. Les recueils de conseils (même quand ils ne sont pas écrits par des charlatans) sont fort peu efficaces. Avis et sermons, même bienveillants, éclairés et amicaux, ne restent à l’esprit que quelques instants quand ils ne sont pas en phase avec notre propre pensée. Le stoïcisme est intéressant parce qu’il fait appel à la dignité et à l’esthétique, notions présentes dans nos gènes. Faites preuve d’élégance lors de votre prochain revers de fortune. Montrez du savoir-vivre en toutes circonstances.

Revêtez votre costume du dimanche le jour de votre mise à mort. Essayez de faire bonne impression auprès du peloton d’exécution en demeurant fier et droit. Ne jouez pas la victime quand vous découvrirez que vous êtes atteint d’un cancer (cachez-le aux autres et ne partagez ce secret qu’avec votre médecin, cela vous évitera les platitudes d’usage, personne ne vous traitera en victime et vous n’attirerez pas la pitié – par ailleurs, votre attitude digne vous donnera le sentiment d’être héroïque, aussi bien dans la victoire que dans la défaite). Soyez extrêmement courtois avec votre assistant quand vous avez un souci (au lieu de vous prendre à lui comme le font beaucoup de traders que je méprise). Ne blâmez pas les autres pour ce qui vous arrive, même s’ils le méritent. Ne vous apitoyez jamais sur vous-mêmes, même si votre compagne part avec le séduisant moniteur de ski, ou votre compagnon avec une jeune mannequin débutante. Ne vous plaignez pas. Si vous souffrez d’une légère arrogance naturelle comme un de mes amis d’enfance, ne commencez pas à vous montrer gentil quand vous traversez des difficultés (il a envoyé à ses collègues un email héroïque les informant qu’il avait « moins de travail, mais conservait la même arrogance »). La seule chose sur laquelle dame Fortune n’a aucun contrôle, c’est votre façon d’agir. Bonne chance ! »


Crédits photo: Nassim Nicholas Taleb, par Salzburg Global Seminar, Licence CC BY-NC-ND.

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