Stoïcisme et Bushido, même combat ?

Épisode 6 : Méditation

La méditation est un paradoxe. Elle est étonnamment surreprésentée dans notre société. Elle faisait peut-être l’objet d’une émission radio que vous écoutiez distraitement sur la route des vacances, ou bien était-elle en couverture d’un magazine féminin que lisait votre voisine à la plage ? La méditation figure en quatrième de couverture de nombreux livres de développement personnel, elle a ses « tutos » sur Youtube et ses applications sur smartphone. Par son intermédiaire, on vous promet que vous allez enfin « apprendre à lâcher prise »,  « vivre heureux» et même « trouver la paix de Dieu » ! Dans la culture populaire, elle fournit même des superpouvoirs à ceux qui la pratiquent, à l’image des lamas en lévitation de Tintin au Tibet ou des jedis dans Star Wars…

On n’en a sans doute jamais autant parlé, et pourtant la méditation reste délicate à définir. Peut-être parce que ce vocable recouvre des techniques variées aux origines temporelles et spatiales très différentes.

Des gravures datant de près de 4000 ans laissent penser qu’une forme de méditation était pratiquée dans la vallée de l’Indus à cette époque[1]. Elle n’est donc pas une invention du Bouddha, qui y a été initié par des ascètes hindous et des brahmanes. Elle faisait déjà partie du répertoire d’exercices du yoga connu sous le nom de Dhyāna.

En revanche, c’est bien par la méditation que Siddhârta Gautama connaît une nuit, au pied d’un arbre, une révélation soudaine qui le mène à l’Éveil. À la suite de ce satori, il formule ses « quatre nobles vérités » (la souffrance, ses origines, ce qui peut y mettre fin et la méthode pour y parvenir)[2].

À mesure qu’il se propage en Asie, le Bouddhisme connaît des mutations et la pratique se subdivise en différents courants. En Chine, le Dhyāna devient le Tch’an. Un moine japonais, Dögen, part s’y former et, après avoir lui aussi fait l’expérience du satori, ramène cette discipline au Japon où elle devient le Zen.

Le bouddhisme Zen accorde une grande importance à la pratique de la méditation. Pour « faire zazen », il faut s’asseoir dans un endroit calme, le dos droit, et dans cette position immobile et silencieuse, s’efforcer de ne pas former de pensées mais de les laisser défiler sans s’y attacher. C’est un véritable exercice de ménage intérieur qui consiste à « purifier l’esprit en évitant le défilé des pensées égoïstes »[3]. Dans le Zen, la méditation c’est le vide. Mais un vide qui remplit celui qui en fait l’expérience :

« La fenêtre est ouverte sur la nuit paisible

Assis, méditant, enveloppé dans ma robe de moine

Les narines alignées avec le nombril,

Les épaules droites

La lune s’élève et la fenêtre devient blanche

La pluie s’est arrêtée, mais quelques gouttes tombent encore

À cet instant, une émotion merveilleuse dilate tout mon être, et moi seul le sait. »

Ryokan, Le Chemin Vide, p.47

Les gymnosophistes indiens – c’est ainsi que les grecs appelaient les yogi –, avaient aussi découvert un aspect étonnant de la méditation. En se livrant à des exercices respiratoires élaborés, ils s’étaient aperçus que leur pratique leur permettait d’exercer un contrôle sur leur physiologie et d’accéder à un sentiment de sérénité accru. Un samouraï japonais du XVIIIème siècle nous en présente sa version :

« Tout d’abord, couchez-vous sur le dos, relâchez vos épaules, laissez votre poitrine et vos épaules s’ouvrir […] et étendez les bras et les jambes de manière confortable. Placez vos mains […] sur la région de votre nombril […] et videz votre esprit de toutes choses. […] Comptez vos inspirations et vos expirations […]. »

Issai Chozanshi, Le sermont du Tengu, p.196

Ce guerrier avait ainsi noté que la pratique régulière de cette forme de méditation lui permettait de retrouver « calme et fraîcheur ».

Depuis, la science a permis d’établir que le contrôle de la respiration aboutit à un ralentissement du rythme cardiaque, qui a notamment pour effet de diminuer la consommation en oxygène du myocarde et de diminuer le niveau de stress.

Les techniques issues du Pranayama, le yoga respiratoire, sont désormais utilisées dans le monde de l’apnée de haut niveau[4], du jiu-jitsu brésilien[5], mais aussi en sophrologie sous le nom de « cohérence cardiaque ». Des études suggèrent également que la méditation renforcerait le système immunitaire[6] et permettrait de lutter contre les déficits de l’attention ou la dépression[7].

Certains moines ont acquis une telle maîtrise de leur corps qu’ils peuvent produire assez de chaleur pour survivre à de (très) longues séances de méditations dans la neige[8] : c’est le toumo, dont la pratique a connu un regain de succès ces dernières années avec les performances médiatisées de Wim Hof.

Dans la tradition bouddhiste, la méditation est donc à la fois un moyen d’accéder à la connaissance, de travailler sur ses représentations, de se réapproprier son corps et d’apaiser son esprit. Mais qu’en est-il chez les stoïciens ? Médite-t-on de la même manière dans un monastère tibétain que dans une villa au pied du Vésuve ?

En latin, le terme meditatio a deux définitions. En premier lieu, il désigne une réflexion menée sur un sujet en particulier. Cette réflexion, guidée par les enseignements d’un maître, doit permettre de se défaire de ses représentations afin de saisir la véritable nature des choses. C’est à ce type d’exercice qu’invite Épicure lorsqu’il écrit à un ami :

« Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous. Car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. »

Épicure, Lettre à Ménécée

Le disciple se voit alors fourni un thème de travail, la mort, et une clé pour l’aborder d’une manière qui lui était jusque-là inconnue : la mort n’est pas un état dont on peut faire l’expérience.

L’autre sens de meditatio est celui d’exercice préparatoire. Il est en effet courant chez les stoïciens d’encourager leurs disciples à « se représenter des malheurs » (premeditatio malorum), c’est-à-dire imaginer le pire scénario possible pour une situation donnée, qu’il s’agisse de faire faillite, de faire naufrage, d’être grièvement blessé au combat ou dans un accident, de tomber malade, etc… :

« Aie chaque jour devant les yeux la mort, l’exil et tout ce qui paraît effrayant […] »

Épictète, Manuel, XXI

Les samouraïs ne font pas autre chose:

« Chaque jour, au cours de la matinée, […] réfléchissez à toutes sortes de morts, imaginez les moments où la mort peut soudain vous surprendre, comme lorsque vous êtes mis en pièces par des flèches, des balles ou des sabres, emportées par une grande vague, contraint de sauter dans les flammes d’un feu ardent, frappé par la foudre, emporté par un tremblement de terre gigantesque, jeté dans un précipice vertigineux, décimé par une maladie fatale. »

Yamamoto Tsunetomo, Hagakure, XI, p.256

Cette contemplation du pire peut paraître déprimante mais elle est en réalité salutaire. Comme l’écrit le Général Clarke, « anticiper un évènement et s’y préparer permet d’en limiter les dommages »[9]. En m’étant préparé mentalement à la survenue d’un évènement difficile, je diminue d’autant ma surprise lorsque j’en suis victime ou témoin, et j’augmente ainsi mes chances d’agir rationnellement ou d’accueillir mon destin avec dignité.

Voilà plusieurs millénaires que des hommes ont recours à des formes de méditation pour reprendre le contrôle de leur corps ou de leur esprit, se rapprocher des dieux, améliorer leur compréhension du monde ou encore réaliser des prouesses physiques.

Quel que soit l’objectif visé, la méditation peut s’avérer précieuse pour l’atteindre, à condition d’y avoir été formé et de la pratiquer régulièrement. Moines, guerriers et philosophes l’avaient bien compris : la discipline est la clé de leur progression sur la Voie qu’ils se sont choisis.


[1] Voir par exemple le sceau dit de Shiva Pashupati, Civilisation de la Vallée de l’Indus, 1500 à 2500 av. J.-C., Musée National de New Delhi.

[2] Pour une introduction accessible au Bouddhisme qui n’a rien perdu de sa clarté malgré les années, on peut recommander Le bouddhisme du Boudda, d’Alexandra David-Néel.

[3] Issai Chozanshi, Le sermont du Tengu, p.198.

[4] Elle y a notamment été introduite par Jacques Mayol, qui s’est formé en Inde et au Japon à cette méthode.

[5] Rickson Gracie, Breathe.

[6] Matthijs Kox, Lucas T. van Eijik […], and Peter Pickkers, « Voluntary activation of the sympathetic nervous system and attenuation of the innate immune response in humans”, Proc Natl Acad Sci U USA. 2014 May 2020 , 111(20) : 7379-7384.

[7] Voir l’article publié par Harvard Med : “How meditation helps with depression », en ligne : https://www.health.harvard.edu/

[8] Alexandra David-Néel, Mystiques et magiciens du Tibet, p.228-229.

[9] General Bruce C. Clarke, Guidelines for the leader and commander.

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