Tout au long de l’été, Yannick Berthoud, membre de Stoa Gallica, partage sur ce blog sa vision du stoïcisme à travers une série d’articles-témoignages. Cette série d’articles inaugure un nouveau format sur le blog de Stoa Gallica. Par le témoignage très personnel d’une personne qui pratique le stoïcisme, il s’agit de montrer les différentes manières, très concrètes, de se réapproprier le stoïcisme aujourd’hui, au quotidien. Bonne lecture, et bon été!
Maël Goarzin
La perte d’un objet et la mort d’un être aimé provoquent de la tristesse. Ce processus est une étape nécessaire à l’acceptation d’un changement d’état jusqu’ici établi.
Les stoïciens sont à la recherche de l’ataraxie, l’absence de trouble – la tranquillité de l’âme. L’atténuation des causes et de la durée de la souffrance sont donc naturellement inclues dans cette recherche.
Faites évoluer votre perception du jugement
Le statu quo est rassurant. Pourtant, la perte et la mort arrivent car ce qui est construit est un jour détruit, tout ce qui naît meurt. Vouloir que ce qui doit arriver n’arrive jamais est contre nature. La perte d’un objet ou d’un proche nous paraît redoutable car nous nous forgeons un jugement sur cette perte.
Or, voici ce que dit Epictète :
Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, ce sont les jugements qu’ils portent sur les choses. Ainsi, la mort n’a rien de redoutable, autrement elle aurait paru telle à Socrate ; mais le jugement que la mort est redoutable, c’est là ce qui est redoutable. Ainsi donc, quand nous sommes contrariés, troublés ou peinés, n’en accusons jamais d’autres que nous-même, c’est-à-dire nos propres jugements.
Manuel d’Epictète, 5
Contrairement aux idées reçues, un stoïcien n’est pas impassible. La tristesse de la perte, il la ressentira comme tout autre personne. Cependant, il cherche à accepter ce qui arrive par nature car ainsi, le trouble est atténué :
Ne demande pas que ce qui arrive arrive comme tu désires ; mais désire que les choses arrivent comme elles arrivent, et tu seras heureux.
Manuel d’Epictète, 8
Bien sûr, il n’est pas sujet de désirer la destruction ou la mort, mais d’en accepter l’événement, car il y a deux façons d’être malheureux :
- Vouloir que ce qui n’arrive pas arrive
- Ne pas désirer que ce qui arrive, arrive.
En acceptant que les choses changent, la souffrance et sa durée s’amenuisent.
Acceptez ce qui est
Pour réussir à accepter ce qui arrive tel qu’il arrive, il faut s’y préparer. Les stoïciens gréco-romains de l’antiquité méditaient sur l’impermanence des choses :
Médite fréquemment la rapidité avec laquelle passent et se dissipent les êtres et les événements. La substance est, en effet, comme un fleuve, en perpétuel écoulement ; les forces sont soumises à de continuelles transformations, et les causes formelles à des milliers de modifications.
Marc Aurèle, Pensées, V, 23
Il est possible de pratiquer une méditation standard, et puis d’observer le va-et-vient de son souffle, du jour et de la nuit, des saisons et d’arriver, de l’eau du fleuve qui s’écoule. Sur la vie et la mort, d’abord de ce qui ne vous touche pas, puis d’aller vers ce qui est important pour vous.
Le deuil étant lié à une perte, Epictète encourageait ses disciples, un peu à l’instar de la méditation ci-dessus, à s’y habituer :
Ne dis jamais de quoi que ce soit : « Je l’ai perdu », mais : « Je l’ai rendu. » Ton enfant est mort : il est rendu. Ta femme est morte : elle est rendue. « On m’a enlevé mon bien ». » – Eh bien ! il est rendu aussi. – « Mais c’est un scélérat que celui qui me l’a enlevé ». » – Eh ! que t’importe par qui celui qui te l’a donné l’a réclamé ? Tant qu’il te le laisse, occupe-t’en comme de quelque chose qui est à autrui, ainsi que les passants usent d’une hôtellerie.
Manuel d’Epictète, 11
De la même façon qu’on médite, habituez-vous, de l’objet insignifiant à l’objet aimé, de l’humain inconnu à l’être aimé, à accepter.
Faites preuve d’indulgence
La perte engendre la souffrance. Aucun stoïcien ne le réfute. Sénèque et Epictète ont d’ailleurs encouragé les larmes, pour eux ou pour les autres, comme le démontrent les citations suivantes. Cependant, ils encouragent à ne pas laisser l’émotion vous dominer.
La nature a ses exigences, que l’amour-propre seul exagère. Jamais, pour ma part, je n’exigerai de toi que tu t’abstiennes absolument de toute tristesse.
Sénèque, Consolation à Polybe, 18, 4-5, trad. R. Waltz, revue par P. Veyne
Rappelle-toi sur le champ que ce qui l’afflige ce n’est pas l’accident, qui n’en afflige pas d’autre que lui, mais le jugement qu’il porte sur cet accident. Cependant, n’hésite pas à lui témoigner, au moins des lèvres, ta sympathie, et même, s’il le faut, à gémir avec lui ; mais prends garde de gémir du fond de l’âme.
Manuel d’Epictète, 16
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