La consolation stoïcienne : accompagner le deuil

Ce texte est une traduction en français, par Michel Rayot et Maël Goarzin, de l’article de Shirley Kwosek Sciacca, “A Stoic consoles the grieving” paru au mois de juin 2025 dans le magazine The Stoic. Nous remercions l’auteure de cet article et l’éditeur de The Stoic de nous avoir donné l’autorisation de traduire ce texte et de le publier ici.

Shirley Kwosek Sciacca, écrivaine basée dans le Midwest, explore la sagesse et la résilience à travers l’apprentissage continu et la pratique des principes stoïciens.


La consolation stoïcienne : accompagner le deuil

par Shirley Kwosek Sciacca

La consolation stoïcienne se distingue par une présence discrète et durable auprès de la personne endeuillée. Il ne s’agit pas d’effacer la douleur, mais d’offrir une écoute attentive et une disponibilité constante. Le principe consiste à accompagner la perte d’un être cher et à soutenir la personne dans la dignité, jusqu’à ce qu’elle soit prête à reprendre sa vie.

Le deuil et ses conséquences

Le chagrin surgit sans prévenir, bouleversant nos certitudes et bousculant nos repères. Dans ces moments-là, le stoïcisme n’apporte pas de remède miracle, mais il offre une approche claire, empreinte de force intérieure et d’espace pour vivre l’émotion. Le stoïcien ne cherche pas à nier ni à repousser la tristesse, mais à aider l’autre à la porter avec plus de constance et moins de secousses intérieures.

Silence et acceptation

Le poids de la perte s’accompagne souvent d’un silence profond – là où régnaient autrefois la joie et les conversations résonne désormais l’absence. Le stoïcien ne cherche pas à combler ce silence précipitamment, mais s’y tient avec sérénité, permettant à la douleur d’exister pleinement. Il ne s’agit pas de nier la réalité, mais de la reconnaître dans toute son ampleur.

À ce propos, Sénèque écrit dans la Consolation à Marcia :

« À quoi sert de se lamenter sur les détails de l’existence ? C’est la vie entière qui devrait nous affliger. » (Sénèque, Consolation à Marcia, X, 7, trad. R. Waltz, revue par P. Veyne)

Sénèque ne veut pas dire qu’il faut se complaire dans le chagrin, mais qu’il faut l’accepter comme faisant partie de la condition humaine. Pleurer est humain. Mais souffrir indéfiniment de ce qui ne peut être changé, voilà ce que la philosophie stoïcienne propose d’éviter.

Empathie et perspective

L’empathie et la perspective rationnelle ne sont pas incompatibles. Le stoïcien console en offrant à la fois une présence apaisante et un aimable rappel : si la douleur est inévitable, le désespoir ne l’est pas. Il aide la personne endeuillée à se recentrer sur ce qui demeure en son pouvoir, même lorsque tout semble perdu.

Un stoïcien peut dire : « Oui, cela fait mal. Et pourtant, vous êtes là. Vous respirez. Vous pensez. Vous faites des choix. » Ce réconfort n’est pas froid, mais durable, plus durable que certaines platitudes. Il honore la mémoire du défunt tout en aidant les vivants à retrouver le chemin de la vie.

Du chagrin au souvenir

Le chagrin déforme la perception du temps, créant une rupture entre un avant et un après. Dans ce brouillard, le stoïcien peut guider doucement le regard de l’autre, de ce qui a pris fin vers ce qui a été partagé.

« Aussi travaillons à nous rendre douce la mémoire des êtres disparus, car personne n’aime à revenir sur une pensée qui ne peut que réveiller des tourments. » (Sénèque, Lettres à Lucilius, 63, 4, trad. H. Noblot revue par P. Veyne)

La gratitude, même discrète, témoigne d’un chagrin qui devient supportable. Il ne s’agit pas d’imposer la gratitude, mais de l’encourager patiemment, en privilégiant le souvenir à l’obsession, l’appréciation à la perte, la présence à l’absence.

 « Cesse d’interpréter à mal un bienfait de la Fortune : elle a repris, mais elle avait donné » (Sénèque, Lettres à Lucilius, 63, 7)

Ces deux vérités peuvent coexister.

Honorer le deuil par la sérénité

Le chagrin peut ressembler à une noyade, en particulier lorsque la mort survient après une longue maladie ou dans la douleur. Assister à la perte progressive de la parole, du souffle ou de la vitalité d’un être cher peut désarçonner les plus stables d’entre nous. Dans ce contexte, le stoïcisme invite à introduire la sérénité au cœur du chaos : non pas pour étouffer l’émotion, mais pour lui faire une place, la reconnaître, et non seulement la subir.

C’est dans ce rôle de compagnon, et non seulement de penseur, que nous pouvons agir. Pour honorer le deuil d’une personne, nous pouvons offrir la sérénité plutôt que des solutions. Nous pouvons prononcer peu de mots tout en disant beaucoup. Il s’agit aussi de rappeler à la personne en deuil qu’elle a déjà traversé de nombreux jours difficiles jusqu’à présent, qu’elle a surmonté d’autres épreuves et qu’elle n’est pas seule.

Trouver la force dans le calme et l’action

« Souviens-toi, à l’avenir, dans toute situation pénible, de faire usage de ce principe : non seulement ce n’est pas un échec, mais la supporter avec courage est une victoire. » – (Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, IV, 49, trad. M. Goarzin)

Ce calme n’est pas synonyme de détachement ; c’est une discipline née de l’attention. Cette attitude permet de côtoyer la douleur sans la fuir ni se laisser dominer par elle.

Il est aussi possible d’inviter la personne en deuil à agir non pas à la hâte, mais avec intention : bien vivre en l’honneur de ceux qui sont partis, pratiquer les vertus qui leur étaient chères, aider autrui, construire quelque chose de nouveau. Ainsi, le chagrin ne devient plus un poids, mais une boussole orientée vers l’essentiel.

La vie après la perte

En fin de compte, la démarche la plus stoïcienne consiste à offrir sa présence dans la vie que l’autre souhaite encore mener. Il s’agit d’accompagner la vie après la perte, écouter sans jugement et rester aux côtés de la personne dans une dignité tranquille, jusqu’à ce qu’elle soit prête à avancer.

Le deuil nous transforme, tout comme l’amour. Le stoïcisme aide à faire en sorte que l’un n’efface pas l’autre.


Crédits: Image par wal_172619 de Pixabay

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