Ce que j’ai perdu avec le stoïcisme

Tout au long de l’été, Yannick Berthoud, membre de Stoa Gallica, partage sur ce blog sa vision du stoïcisme à travers une série d’articles-témoignages. Cette série d’articles inaugure un nouveau format sur le blog de Stoa Gallica. Par le témoignage très personnel d’une personne qui pratique le stoïcisme, il s’agit de montrer les différentes manières, très concrètes, de se réapproprier le stoïcisme aujourd’hui, au quotidien. Bonne lecture, et bon été!

Maël Goarzin


Je sais. Ce titre est provocateur. Curieusement, on pourrait même le penser néfaste. La lecture d’une « perte » engendre instinctivement un sentiment d’effroi. Peut-être avez-vous de ce fait cliqué sur cet article pour vous rassurer sur le fait qu’en pratiquant le stoïcisme, vous ne perdriez rien de valeur.

Pour autant, toute perte n’est pas mauvaise. Prenez la perte de l’envie de fumer par exemple. C’est quelque chose de positif, n’est-ce pas ?

J’ai mis du temps à comprendre l’expression « la philosophie comme art de vivre ». Je dirais même que je ne suis pas sûr d’en avoir saisi tout le sens. Mais s’il y a une chose que je sais, c’est que je ne suis jamais aussi paisible que lorsque je mets en pratique des préceptes philosophiques. Pourquoi ? Parce que j’ai plus perdu de choses que j’en ai gagné.

Comprenez bien sûr que je ne parle pas seulement de stoïcisme, mais bel et bien de la pratique philosophique. Nous nous y retrouvons et chaque philosophie rejoint les autres sur un ensemble de points. Je me remémore cette réponse du Dalaï-Lama à un journaliste qui lui demandait ce qu’il avait gagné avec la méditation, et il répondit quelque chose de semblable à : Je vais vous dire ce que j’ai perdu. J’ai perdu la peur de la mort, de la maladie, de la solitude…

Ma mémoire me joue des tours, mais l’idée y est.

Lorsque j’ai découvert le stoïcisme, je me suis concentré sur les grands noms de l’époque impériale que sont Sénèque, Epictète et Marc Aurèle. J’avoue avoir lu très rapidement, et pour sûr, je ne suis pas un aussi bon analyste rédactionnel que je le souhaiterais. Et pourtant, à partir de cette lecture, tout a changé ! Si j’en ai déjà quelques peu parlé dans de précédents articles, je n’ai pas évoqué tout ce que j’ai perdu avec ma jeune pratique.

Aussi, je voudrais tout au long de la lecture de cet article, que vous gardiez à l’esprit la notion de perte, et non pas de gain.

Peur et incompréhension de la mort

Il me parait évident de commencer par ce thème. Qu’on essaie de ne pas y penser, ou qu’on feigne de l’éviter, combien sont ceux qui, tôt ou tard, l’ont désiré ? Le stoïcisme m’a fait comprendre que la mort est conforme à la nature et donc non effroyable. Ainsi, Sénèque, dans La brièveté de la vie, nous rappelle très justement que :

Nous vivons assez longtemps quel que soit l’âge de notre mort si on a vécu selon nos principes.

Sénèque, De la brièveté de la vie

Aux différentes lectures de Sénèque (dont les Consolations), j’ai compris que ce que j’ai déjà vécu est mort, ce que je n’ai pas encore vécu n’est pas encore né, et que donc, je ne suis vivant qu’ici et maintenant.

Aussi, j’ai pu en saisir un sens nouveau : ce que j’ai déjà vécu est maintenant mort, lorsque la fin du « moi » tel qu’on l’entend en occident arrivera, il n’y a pas de mal car :

La mort a de bien qu’elle t’évite également de vivre toutes sortes de maux.

Pour autant, en traversant cet élément aussi naturel que le sont les saisons, je cesserai de vivre dans la souffrance d’un corps vieillissant, dans la souffrance que peuvent induire mes différentes pensées, opinions, sentiments et émotions négatives. Toute souffrance s’éteindra naturellement.

Aussi, je ne désire ni ne repousse la mort. Elle me sourira à son tour lorsque le moment sera venu. Pour ce qui est de la mort des autres, je dois certes encore travailler sur la représentation que je me fais de ceux pour qui cela « ne me laisse pas indifférent ».

La peur de l’échec, et de la réussite

Un frein aux ambitions personnelles des hommes est la peur de l’échec : « Si j’essaie et échoue, alors j’aurais perdu du temps, de l’énergie, de l’argent, la santé, etc. ».

Un autre frein est la peur de réussir : « pour réussir, je vais devoir faire des concessions, des sacrifices, peut-être subir quelques pertes. Si je ne réussis rien, ni moi, ni les autres n’auront d’attente vis-à-vis de moi. »

Alors, il vaut mieux un statu quo, parfois même nocif, que risquer d’aller vers « un mieux ».

Si je me suis rendu compte que ces peurs sont souvent présentes dans ma vie, c’est naturellement chez les autres que je les ai le plus souvent aperçues. Non pas que j’en ai moins, mais il est plus facile de percevoir les défauts des autres que les siens, notre égo jouant son rôle de filtre à la perfection. 

Ainsi, ayant donné des cours de sport et de libération émotionnelle, c’est quelque chose que j’entendais régulièrement :

  • « Je ne veux pas faire de régime, car si j’en fais un et que ça ne marche pas, je serai dégoûté » ;
  • « J’effectuerai un travail sur mes émotions lorsque mes problèmes seront résolus. Là, j’ai déjà assez à régler sans avoir à me rajouter cette tâche » ;
  • « Si je réussis cet entretien, je devrai me charger et prouver mes capacités [et je ne suis pas sûr d’en être capable] ».

Et si, faire ce régime, ou se rajouter cette tâche était la solution ? Et si faire en sorte de réussir cet entretien et me prouver mes capacités me donnait de nouvelles, belles et grandes opportunités ?

Lorsque nous pensons devoir prendre un risque pour « aller vers le mieux », notre cerveau peut, entre autres, déclencher des biais cognitifs tels que l’aversion à la perte ou le biais du statu quo. Ces derniers nous poussent à ne rien faire plutôt que de prendre le moindre risque. Ils sont involontaires, totalement autonomes, bien que les connaître nous sensibilise à leur apparition.

Le stoïcisme me rappelle avant tout que mon temps est limité. Aussi, chaque fois que je me surprends à procrastiner en me trouvant des excuses similaires aux exemples ci-dessus, je me demande quel emploi de mon temps je fais. Il est des choses que je sais faire, d’autres que je veux ou encore que je dois faire. Aussi, je me rappelle qu’Epictète dit :

Il est de ton fait de jouer le personnage qui t’est donné.

Que ce soit ce que je veux faire, ou ce que je dois faire (comme écrire un article de blog ou payer mes impôts), je m’efforce de visualiser le voyage. De voir ce qu’il y a de beau et de mal dans la réalisation de ma tâche. Ainsi, je peux me préparer à vivre les difficultés comme des opportunités et à vivre les beaux moments avec gratitude. Alors, la peur de l’échec et de la réussite s’amenuisent, peut-être même disparaissent.

L’aversion à ce qui diffère et s’éloigne de moi

Depuis que je pratique des exercices stoïciens, c’est, je pense, la plus belle perte que j’aperçois à ce jour. Mon travail d’agent de sécurité m’a forcément donné un petit coup d’accélérateur en devant rester stoïque autant que stoïcien devant les comportements inappropriés d’individus agressifs, impolis et ayant abusés de substances psychotropes.

En effet, pratiquer le stoïcisme en pareille circonstance m’a permis d’avoir pleinement conscience de qui je veux être. Une preuve de plus que les contraintes ne le sont que par opinion et qu’elles peuvent, sur volonté, devenir des opportunités.

Bien sûr, je parle dans cet article de perte. Pour perdre cette aversion à ce qui s’éloigne de moi et de ce que je considère comme des biens, j’ai dû puiser dans le stoïcisme des exercices qui m’ont permis de prendre le fait tel qu’il est plutôt que tel que je me le représente. Aussi, je me souviens que lorsqu’une personne adopte un comportement qui s’éloigne de « moi et mes valeurs », je n’ai pas à le juger car je ne sais pas si, de son point de vue, c’est un bien ou un mal, mais seulement qu’il adopte ce fameux comportement.

Un mot pour la fin

Dans cet article, j’avais la volonté de vous rendre attentif à deux choses :

  • La première est que toutes les pertes ne sont pas malheureuses ou indésirables.
  • La seconde, c’est que le stoïcisme ne se résume pas à « ce qui dépend ou ne dépend pas de vous » mais que vous êtes l’acteur de votre vie, que vous avez à jouer le rôle qui vous a été donné et que la « simple lecture de citation dans un article » n’est pas suffisante pour vivre des gains et des pertes préférables telles que celles présentes dans cet article.

Vous souvenez-vous de ma demande ? Celle de garder à l’esprit la notion de perte plutôt que de gain ?

Beaucoup d’entre vous êtes ou étiez peut-être comme moi : à la recherche du bonheur. Au désir de ne plus vivre d’émotions négatives, de ne plus souffrir.

Le stoïcisme m’a permis de mieux accepter les émotions négatives. Si ces dernières sont un caillou dans mon lac de tranquillité, alors j’accepte les petites ondulations à la surface, et puis, le lac revient à son état d’origine, paisible.

En dehors de quelques cas génétiques rares, nous ne naissons pas avec les troubles qui nous empêchent la régulation de nos émotions. La pratique philosophique, dont le stoïcisme, nous permet de retrouver cette sérénité non pas comme un gain nouveau dont nous ne disposions pas à la naissance, mais bien comme un acquis, et qu’il « suffit » d’activer les bons leviers pour le retrouver. Ayant commencé mon article avec le Dalaï-Lama, je souhaite également le terminer avec une métaphore bouddhiste, philosophie proche en de nombreux points du stoïcisme, que j’adapte légèrement et qui dit que les émotions négatives sont comme la poussière dans un étang. Agité, ce dernier devient opaque et nous ne voyons plus le fond. Mais avec le calme qu’apporte la pratique philosophique, alors la poussière se dissipe (la perte) et la clarté originelle revient.


Crédits: Photo de Pete Godfrey sur Unsplash

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