Comment se conduire ? Eutaxia et kosmiotès

Eutaxia et kosmiotès sont deux espèces de la vertu cardinale de maitrise de soi ou de tempérance (sophrosunè), qui touchent toutes les deux au respect de soi-même à l’estime de ceux avec qui l’ont vit dans notre comportement extérieur.

Le sujet de la science qu’on appelle en grec eutaxia est le maintien de l’ordre. L’eutaxia est définie ainsi dans l’ancien stoïcisme : « la science qui enseigne quand il faut agir, quel acte doit précéder l’autre, l’ordre dans les actions ».

Cette vertu est différente de la vertu que les Grecs appelaient kosmiotès (modestia en latin). Cette dernière suggère plutôt l’idée d’une conduite ou d’un comportement qui doit être mesuré. Elle était définie par les stoïciens comme « la science qui consiste à mettre à leur place propre nos actions et nos paroles » ; Nous tenons également d’Andronicos de Rhodes la définition suivante : « c’est la science de ce qui est convenable dans les mouvements et dans les attitudes ».

Ces deux vertus semblent toutefois complémentaires. Dans son Traité des devoirs, Cicéron précise en effet qu’« ordonner » semble avoir le même sens que « mettre à sa place ». La définition stoïcienne de l’ordre est la suivante : « l’ordre est la position des choses aux places qui leur conviennent le mieux », et d’autre part « la place d’une action, c’est son opportunité ». Le temps opportun pour agir se dit en grec eukairia (occasio en latin). C’est pourquoi Cicéron désigne également la vertu kosmiotès par « la science de l’opportunité des circonstances propices à une action », le mot « opportunité » remplaçant ici l’expression « mettre à sa place ».

Pour un romain, la façon dont nous agissons dans nos interactions sociales est importante. Les mouvements et les attitudes du corps comme la démarche, la façon de s’asseoir, de se coucher à table, le visage, les yeux, le mouvement des mains, la parole reflètent à l’extérieur notre excellence. Les gestes ne devaient ainsi ni être trop mous, ni trop vifs, ni efféminés. C’est le rôle de la vertu de kosmiotès de réguler le comportement dans le sens de la mesure.

Cependant, les relations interpersonnelles nécessitent également de savoir adapter son comportement en fonction du lieu et des circonstances. C’est là qu’intervient l’eutaxia.

Cicéron précise :

« Il faut mettre notre conduite en ordre tel que, comme dans un discours conséquent, toutes les parties de notre vie soient bien adaptées l’une à l’autre et d’accord entre elles. »

Cicéron, Traité des devoirs, I, 144 – Trad E. Bréhier

Il est par exemple fautif d’introduire dans une affaire sérieuse des propos légers et dignes d’un banquet, ou au contraire d’avoir l’esprit tendu au cours d’un banquet (alors que la même attitude serait convenable lorsqu’on se prépare à plaider), ou encore de chantonner sur la place publique. De même, il est fautif d’utiliser son téléphone portable au cours d’un repas – sauf si les circonstances l’exigent. Certains comportements sont par exemple également à éviter lorsque nous conversons, car ils révèlent un manque de présence et d’attention envers notre interlocuteur : bailler, regarder régulièrement sa montre, laisser son esprit divaguer, monopoliser la parole ou ne pas tenir en place.

Eukairia et kosmiotès sont donc comme les deux faces d’une même pièce. Ce que nous appelons aujourd’hui l’étiquette – ou les bonnes manières – pourrait en être une expression moderne. L’étiquette a pour but de construire des relations harmonieuses en incitant les gens à faire preuve de respect et d’amitié dans leurs interactions sociales. Elle consiste en une variété de codes de conduite et de normes formés sous l’influence des traditions historiques, des coutumes, des croyances religieuses, des tendances temporelles et d’autres facteurs dans les interactions sociales. Elle demande aussi de savoir réagir de manière flexible en fonction de différentes conditions et occasions.

« Ce sont les petits manquements, ceux que peu sont capables de saisir, dont il faut se garder avec grand soin. Comme dans les lyres ou les flutes, une discordance, si petite soit-elle, est pourtant perçue par un connaisseur, il faut faire attention à éviter les discordances dans la vie, et d’autant plus que l’accord dans la conduite a plus d’importance et de valeur que l’accord entre les sons. »

Cicéron, Traité des devoirs, I, 145 – Trad E. Bréhier

Crédits: Photo by Annie Spratt on Unsplash.

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