A guide to the good life (William Irvine)

Cet ouvrage de William Irvine, publié en 2009, constitue, 10 ans après l’ouvrage de Lawrence Becker, A New Stoicism, publié en 1999, l’un des principaux écrits prenant la défense du stoïcisme moderne ou contemporain. S’adressant à un public de non-philosophes tout autant que de philosophes, l’auteur y défend, à partir de la lecture des stoïciens et à partir de sa propre pratique, l’intérêt de la philosophie stoïcienne aujourd’hui.

Dès les premières pages du livre, l’auteur nous rappelle l’importance d’avoir un but dans la vie, et une stratégie pour atteindre ce but. Mais quelle philosophie de vie et quel guide peut-on suivre ? Pour l’auteur, qui témoigne d’une pratique personnelle du stoïcisme, la lecture des philosophes antiques, et plus particulièrement des philosophes stoïciens, peut précisément servir de guide pour atteindre ce but. Le but de ce livre est donc d’offrir aux lecteurs une philosophie de vie que William Irvine juge utile. S’inscrivant dans la conception de la philosophie comme mode de vie, cet ouvrage a non seulement pour objectif de montrer l’intérêt théorique du mode de de vie stoïcien, mais de le mettre en pratique au quotidien. Plus précisément, l’auteur se concentre sur la dimension psychologique de la philosophie stoïcienne, insistant particulièrement sur les techniques offertes par le stoïcisme pour prévenir et se défaire des émotions négatives empêchant de vivre une vie bonne. De ce point de vue, on peut d’ores et déjà noter que l’auteur se concentre sur les techniques psychologiques stoïciennes permettant d’atteindre la tranquillité de l’âme, ne mentionnant que rarement la pratique des vertus comme moyen pour atteindre le bonheur.

L’ouvrage se divise en 4 parties, consacrées à l’histoire du stoïcisme antique (1ère partie), aux principales techniques psychologiques stoïciennes pour atteindre la tranquillité de l’âme (2ème partie), aux conseils stoïciens pour mieux vivre au quotidien, peu importe les circonstances (3ème partie), et à la justification de la pratique du stoïcisme aujourd’hui (4ème partie). L’ouvrage est plutôt long, mais la lecture est très fluide et agréable, l’auteur faisant attention à moderniser les exemples d’application des principales techniques psychologiques stoïciennes. De qualité universitaire, l’ouvrage peut être utile à toute personne intéressée par la pratique du stoïcisme aujourd’hui, tant pour les stoïciens débutants que pour les stoïciens avancés. C’est une référence importante du stoïcisme contemporain qu’il me semble important de rendre accessible au public francophone, ce qui justifie le compte-rendu détaillé qui suit.

1ère partie : L’éclosion du stoïcisme

Le premier chapitre, qui reprend la thèse de Pierre Hadot, concerne la philosophie antique comme manière de vivre, et non seulement comme discours. Si parmi ces philosophies de vie antiques, William Irvine a une préférence pour le stoïcisme, il pense néanmoins, comme Pierre Hadot, que chacun peut trouver un intérêt dans l’une ou l’autre des écoles antiques.

Dans le chapitre2, basé sur le récit biographique fourni par Diogène Laërce, William Irvine raconte la vie et l’enseignement des premiers stoïciens (Zénon, Cléanthe et Chrysippe), leur intérêt pour la logique, la physique et l’éthique, ainsi que les stoïciens de l’époque impériale (Sénèque, Epictète et Marc Aurèle en particulier). Il insiste notamment sur l’ajout des stoïciens impériaux de la tranquillité de l’âme comme but de la vie philosophique, à côté de la vertu. Or, c’est cette insistance sur la tranquillité que permet le mode de vie stoïcien qui attire, selon lui, les lecteurs contemporains, moins attirés par la notion de vertu que par la manière d’éviter ou de se débarrasser des émotions négatives. C’est la raison pour laquelle William Irvine va se focaliser, dans le chapitre suivant, sur les stoïciens de l’époque impériale (chapitre 3). C’est également la raison pour laquelle il se focalise, dans ce livre, sur la prévention et la gestion des émotions négatives, c’est-à-dire la dimension thérapeutique de la philosophie stoïcienne (2ème partie).

2ème partie : Les techniques psychologiques stoïciennes

Les chapitres 4 à 8 présentent 5 techniques permettant de prévenir et de maîtriser les émotions négatives telles que l’anxiété, la colère, la tristesse, etc.

Le chapitre 4 concerne la visualisation négative, aussi appelée préméditation des maux. Cet exercice consiste à visualiser ce qui pourrait nous arriver de pire, de la perte d’un objet de valeur à la perte d’un être cher. William Irvine identifie deux principaux bénéfices liés à la pratique de cet exercice : 1) on apprend à se réjouir de ce que nous avons à l’heure actuelle, dans l’instant présent, sachant qu’on pourrait le perdre ; 2) on se prépare au pire, et à mieux supporter la perte lorsque celle-ci arrive. Cet exercice n’enlève pas le chagrin face à la perte d’un être cher, mais permet de le rendre plus supportable. Ce que cet exercice apporte, par contre, c’est une joie stable et inaltérable. Ce que William Irvine omet de préciser, c’est que la praemeditatio malorum ou visualisation négative ne porte pas sur de véritables maux, mais sur des choses indifférentes. Le fait d’être bousculé dans le métro, par exemple, n’est pas un mal, mais un désagrément que l’exercice de préméditation des « maux » permet précisément de considérer avec indifférence.

Le chapitre 5 concerne la dichotomie du contrôle, c’est-à-dire la distinction entre ce qui dépend totalement de nous (nos désirs, nos jugements, et notre impulsion à agir ou non) et ce qui ne dépend pas de nous. Le but de l’exercice, est de se focaliser sur ce qui dépend de nous (ce que nous pouvons contrôler), à savoir les objectifs internes que nous nous fixons (par exemple travailler du mieux possible ou jouer au tennis du mieux possible), par opposition à ce qui ne dépend pas entièrement de nous (recevoir une augmentation ou gagner un match de tennis). A travers la pratique répétée de cet exercice, je préserve la tranquillité de l’âme, tout en ayant un impact sur des choses dont je n’ai qu’un contrôle partiel. Dans ce chapitre, William Irvine présente et défend une vision particulière de la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, proposant une trichotomie du contrôle plutôt qu’une dichotomie. Il distingue ainsi 1) ce qui dépend totalement de nous, 2) ce qui ne dépend pas totalement de nous ( c’est-à-dire ce qui dépend partiellement de nous) et 3) ce qui ne dépend vraiment pas de nous (voir tableaux explicatifs p. 89 et 97). William Irvine s’éloigne ici de la pensée d’Epictète, qui distingue uniquement ce qui dépend totalement de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Epictète établit en effet une distinction nette (sans zone grise) entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. L’exemple de l’archer permet de bien comprendre cette distinction : ce qui dépend de l’archer qui s’efforce de viser la cible, ce n’est pas de toucher la cible (le résultat de l’action ne dépend pas entièrement de lui, car des éléments extérieurs peuvent venir dévier la flèche), mais de tout mettre en œuvre pour atteindre la cible (placer correctement la flèche, bander l’arc de la bonne manière, etc.)[1]. L’insertion de cette troisième catégorie (ce qui dépend partiellement de moi) contredit en quelque sorte cette distinction nette entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, sans apporter de plus-value évidente à l’exercice. A noter également que William Irvine contredit également le fait que nos impulsions nos désirs et nos aversions dépendent totalement de nous (p. 90-91), point de vue qui justifie peut-être sa défense d’une trichotomie du contrôle.

Le chapitre 6 développe le fatalisme des stoïciens, à savoir cet exercice qui consiste à accepter le rôle que le destin nous a attribué (assentiment au destin, amor fati). Ce qui dépend de nous, pour les stoïciens, c’est de bien jouer le rôle qui nous a été attribué, et de vouloir que les choses arrivent telles qu’elles arrivent. Pour William Irvine, ce fatalisme concerne le passé et le présent, qu’il convient d’accepter, mais pas le futur. Se satisfaire du passé et du présent apporte la satisfaction recherchée par les stoïciens : se contenter du présent tel qu’il est plutôt que d’espérer qu’il soit différent et être insatisfait. Comme l’exercice de visualisation négative, le but de cet exercice est de prendre conscience de la valeur du présent, de ce que l’on a. : refuser de penser au fait que le présent pourrait être mieux pour se contenter de ce que l’on a.

Le chapitre 7 décrit l’exercice d’inconfort volontaire. Cet exercice est un moyen, pour l’auteur, d’apprécier d’autant plus ce que l’on a actuellement en se privant volontairement de ces choses. William Irvine identifie trois bénéfices pour cet exercice : 1) se renforcer en cas de réel coup dur à venir ; 2) se rassurer sur sa capacité actuelle à affronter la difficulté ou les inconforts potentiels (enlevant ainsi toute forme d’anxiété à l’égard d’un futur inconfortable) ; 3) permet d’apprécier ce que nous avons actuellement.
Ce chapitre décrit un deuxième exercice, lié au premier, mais légèrement différent. Tandis que l’inconfort volontaire (douche froide, jeûne, etc.) consiste à s’imposer une difficulté, le deuxième exercice, d’abstinence volontaire, consiste à renoncer à certains plaisirs (un carré de chocolat, un verre de vin, une douche chaude, etc.). Rappelant les dangers liés au plaisir, qui peut nous rendre esclaves, William Irvine insiste sur le fait que certains plaisirs sont à proscrire (ceux qui agissent comme une drogue et nous empêchent d’agir raisonnablement). Au contraire, l’abstinence volontaire d’un plaisir sans danger permet d’exercer la maîtrise de soi.
La volonté, nous dit l’auteur, est comme un muscle qu’il convient d’entraîner. Ces deux exercices (inconfort et abstinence volontaires) ont précisément pour but de renforcer la volonté, la maîtrise de soi et le courage. En outre, le deuxième exercice offre la satisfaction d’avoir su résister au plaisir.

Le chapitre 8 présente une dernière technique psychologique stoïcienne, à savoir la méditation du soir, aussi appelée examen de conscience. Il s’agit d’examiner les actions de la journée, ce que l’on a fait et ce que l’on aurait dû faire dans telle out elle situation : revenir sur ses actions en les jugeant de l’extérieur permet ainsi d’évaluer notre progrès dans la pratique du stoïcisme. Selon William Irvine, l’un des signes de progrès le plus fort est la sérénité, voire la joie de vivre la vie que je mène actuellement.

3ème partie : conseils stoïciens

La troisième partie de l’ouvrage développe un certain nombre de conseils sur des aspects spécifiques de la vie quotidienne, dans le but d’atteindre la tranquillité. Ces conseils sont complémentaires aux techniques évoquées dans la deuxième partie de l’ouvrage.

Les chapitres 9 et 10 concernent les relations sociales. Dans le chapitre 9, William Irvine rappelle que les hommes ont le devoir, en tant qu’êtres sociaux, de maintenir des relations avec autrui, malgré les troubles que ce dernier peut nous causer. Une vie bonne ne saurait se passer de ces relations sociales.

Dans le chapitre 10, William Irvine explique comment préserver la tranquillité de l’âme tout en remplissant son devoir social. Parmi les conseils qu’il retient, on peut noter le fait de choisir les personnes que l’on côtoie, afin de ne pas être corrompu par les personnes vicieuses. Au contraire, la présence à nos côtés de personnes vertueuses va nous encourager à mieux vivre. Dans le même ordre d’idée, les stoïciens conseillent de bien choisir les événements auxquels on participe et déconseillent de participer aux conversations futiles. Cependant, lorsqu’on doit, pour remplir notre devoir (au travail, en famille, etc.) être confronté à autrui (y compris les personnes vicieuses mentionnées plus haut), comment rester imperturbable ? Deux options s’offrent au philosophe stoïcien : changer ces personnes, ou bien se dire qu’il était nécessaire qu’ils agissent ainsi et relativiser leur comportement, afin de ne pas être troublé par celui-ci.

Le chapitre 11 concerne les insultes. Quelles techniques les stoïciens recommandent-ils pour ne pas être affecté par les insultes ? Les stoïciens recommandent un temps de pause, permettant de se poser la question suivante : l’insulte/la critique est-elle vraie ? Si c’est le cas, je n’ai aucune raison de m’énerver. Si ce n’est pas le cas, le philosophe stoïcien peut se rappeler que le jugement de l’autre sur moi ne me cause de tort que si je juge qu’il me cause du tort. En restant indifférent à l‘opinion des autres sur lui, le sage préserve la tranquillité de l’âme. Par ailleurs, William Irvine propose de répondre à l’insulte avec humour et auto-dérision (ne pas prendre au sérieux la personne qui m’insulte). Une autre attitude consiste à ne pas répondre (rester indifférent vis-à-vis de la personne qui m’insulte).

Le chapitre 12 apporte des conseils pour faire face au chagrin face à la perte d’un enfant. Comme le rappelle d’emblée William Irvine, à juste titre, une réaction émotionnelle est tout à fait naturelle, et la situation envisagée permet à l’auteur de contredire l’opinion erronée selon laquelle le stoïcisme consiste à supprimer toute émotion. Les stoïciens donnent par contre les moyens de ne pas souffrir de manière excessive, c’est-à-dire pendant trop longtemps et trop fortement. Pour faire face à cet événement, Sénèque conseille à Polybe et Marcia de pratiquer l’exercice de visualisation négative. Cet exercice peut être prospectif, afin de se préparer à la perte éventuelle d’un être cher (voir chapitre 4), ou bien rétrospectif. Cette variation de l’exercice de visualisation négative consiste, après la mort d’un être cher, à s’imaginer qu’il n’a jamais vécu, afin d’adoucir notre peine face à sa mort. Cet exercice apporte en effet de la joie et de la reconnaissance quant au fait d’avoir connu et vécu avec cette personne.
Ce chapitre évoque également l’attitude stoïcienne à adopter vis-à-vis de la personne qui souffre : pour Epictète, en effet, il convient de compatir avec la personne qui souffre sans souffrir intérieurement soi-même, afin de pouvoir l’aider à surmonter sa souffrance.

Le chapitre 13 évoque la colère, à partir des conseils donnés par Sénèque dans son traité Sur la colère. Comment apprendre à contrôler sa colère et maintenir ainsi la tranquillité de l’âme ? Avant de faire la liste des conseils de Sénèque, William Irvine rappelle que le fait de ne pas se mettre en colère ne nous empêche pas d’agir contre l’injustice, par exemple, bien au contraire. Car nous serons plus efficaces en restant calme. Par contre, on peut feindre la colère, nous dit Sénèque, pour remettre quelqu’un sur le droit chemin si l’attitude rationnelle ne suffit pas. Parmi les conseils pour prévenir la colère :

  • ne pas penser que les autres nous veulent du mal
  • pratiquer l’inconfort volontaire pour mieux supporter l’inconfort involontaire
  • se rappeler que ce qui nous met en colère ne nous fait pas réellement de mal
  • l’humour
  • faire une pause et se rappeler que ce que l’on vit est insignifiant d’un point de vue cosmique (regard d’en haut) : relativiser en contemplant la petitesse de nos misères humaines sur l’échelle du temps

Le chapitre 14 concerne la recherche de la gloire ou de la célébrité. Les stoïciens rappellent que le prix de la célébrité est trop élevé, car elle donne un pouvoir trop grand aux autres sur nous, et menace notre liberté. Il faut donc rester indifférent vis-à-vis du jugement de l’autre sur moi. Et plutôt que de rechercher la célébrité posthume, mieux vaut se focaliser sur le présent. Un exercice, pour se défaire de cette recherche de la vaine gloire, consiste à recherche volontairement le dédain. William Irvine rappelle ici l’exemple de Caton, qui portait volontairement des vêtements démodés pour s’accoutumer aux critiques et aux moqueries. Cet exercice permet notamment d’apprendre à persévérer dans nos choix, malgré l’opinion des autres.

Le chapitre 15 concerne la recherche du luxe et de tout ce que l’on valorise à tort. Pour les stoïciens, non seulement les richesses n’apportent pas le bonheur, mais elles sont le plus souvent causes de troubles. Par exemple, l’habitude d’être riche nous empêche d’apprécier les choses simples de l’existence. Savoir se passer des richesses, au contraire, a plus de valeur que les richesses elles-mêmes, et nous apprend à apprécier la vie ordinaire. Le conseil stoïcien consiste à vivre pauvrement et, si l’on est riche, à ne pas s’attacher à ses richesses en s’exerçant à la pauvreté et en faisant bon usage de ces richesses, de la même manière qu’il convient de faire bon usage de la célébrité.

Le chapitre 16 concerne l’exil ou, de manière plus générale, le changement de lieu. Pour les stoïciens, l’exil n’est pas un mal, car il ne nous sépare pas de ce qui importe vraiment, c’est-à-dire notre capacité à endurer l’exil. Ce qui importe vraiment, la vertu, on l’emporte avec soi partout où nous allons.

De manière originale et très convaincante, le chapitre 17 compare l’exil et le départ pour une maison de retraite. William Irvine propose ici un chapitre très nuancé sur le fait de vieillir. Comment vieillir sans se plaindre constamment ? L’auteur montre en quoi le stoïcisme est particulièrement approprié pour le grand âge, notamment pour éviter l’anxiété face à la mort et pour apprendre à vivre au présent, apprécier chaque jour qui nous est donné de vivre. L’exercice de visualisation négative et de déprise vis-à-vis de ce qui ne dépend pas de nous (chapitres 4 et 5) sont particulièrement utiles pour vivre plus sereinement la vieillesse et ses difficultés.

Le chapitre 18, en continuité avec le chapitre 17, concerne plus spécifiquement l’acceptation de la mort, afin d’être en mesure de terminer sa vie paisiblement. Pour William Irvine, le fait de vivre du mieux possible et suivre une philosophie de vie cohérente permet de se libérer de la crainte de la mort et du regret de ne pas avoir vécu sa vie correctement. Abordant la question du suicide, avec toutes les précautions et nuances nécessaires, William Irvine rappelle que les conditions dans lesquelles les stoïciens justifient le suicide sont extrêmement rares.

Le chapitre 19, concluant cette série de conseils stoïciens, insiste sur l’effort que demande le fait de devenir stoïcien. William Irvine confirme, ici, que cet effort en vaut la peine, car il nous permet d’éviter des troubles beaucoup plus importants, et surtout, devenir stoïcien nous évite de mal vivre. La principale récompense du philosophe stoïcien, en effet, c’est de devenir plus vertueux, d’éviter les émotions négatives, et d’éprouver la joie face au monde qui nous entoure, la simple joie d’exister.

4ème partie : Stoïcisme et vies modernes

Dans cette quatrième et dernière partie, William Irvine revient tout d’abord sur le déclin du stoïcisme à la mort de Marc Aurèle, et les obstacles à la renaissance de la philosophie stoïcienne à l’heure actuelle. Dans un deuxième temps, il discute de la possibilité de rendre le stoïcisme attractif aujourd’hui, avant de conclure cette dernière partie par un retour sur sa propre expérience du stoïcisme et une exhortation à pratiquer le stoïcisme.

Le chapitre 20 concerne le déclin du stoïcisme et sa survivance jusqu’à nos jours. Après avoir cité quelques exemples modernes de réappropriation du stoïcisme (Descartes et Schopenhauer, ou encore Thoreau), William Irvine, oubliant à mon avis les apports importants de Pierre Hadot et Michel Foucault, déplore l’absence du stoïcisme au 20ème siècle. Il détaille ensuite les raisons de cette absence, voire de cette aversion pour le stoïcisme au 20ème siècle en mentionnant tout d’abord la critique selon laquelle l’attitude stoïcienne vis-à-vis des émotions serait contraire à l’enseignement de la psychologie moderne, qui conseille de laisser s’exprimer les émotions. L’auteur répond en démontant de manière appropriée les préjugés sur le rapport des stoïciens aux émotions. Pour les stoïciens, il ne s’agit pas, en effet, de supprimer les émotions, mais de prévenir les émotions négatives et de diminuer leur impact négatif lorsqu’elles surviennent inévitablement.
La deuxième raison de cette aversion pour le stoïcisme serait le point de vue généralement admis, au 20ème siècle (et encore aujourd’hui, serais-je tenté de rajouter), selon lequel notre bonheur dépendrait des conditions extérieures dans lesquelles nous vivons (conditions sociales, pouvoir politique en place, etc.). Là encore, William Irvine répond à propos en rappelant que le bonheur stoïcien dépend entièrement de l’individu, peu importe les circonstances extérieures.
Une autre raison du désintérêt pour le stoïcisme au 20ème siècle serait le manque d’intérêt de la philosophie contemporaine pour le stoïcisme, et, de manière générale, pour les philosophies de vie. Nous rejoignons sur ce point l’opinion de l’auteur, en mentionnant, à nouveau, l’exception française, puisque Pierre Hadot et Michel Foucault ont précisément remis au goût du jour l’étude de la philosophie comme mode de vie à la fin du 20ème siècle.
Enfin, le dernier obstacle mentionné par William Irvine à l’intérêt pour le stoïcisme aujourd’hui serait la difficulté des individus à renoncer à certains désirs et à rechercher la maîtrise de soi que le stoïcisme requière. La maîtrise des désirs requière un véritable effort et peut paraître difficile, mais c’est elle qui nous apporte le bonheur, pour William Irvine.

Le chapitre 21 pose de manière frontale la question de l’attractivité du stoïcisme aujourd’hui. William Irvine rappelle tout d’abord le fait que le stoïcisme donne des conseils pour atteindre la tranquillité de l’âme, résumant en 2-3 pages l’essentiel de l’argumentation des parties précédentes (p. 227-229) : les techniques psychologiques stoïciennes et les conseils pratiques stoïciens permettent de combattre efficacement les émotions négatives et de faire l’expérience d’émotions positives telles que la joie.
La suite du chapitre concerne la justification théorique du stoïcisme comme philosophie de vie. Tout d’abord, William Irvine rappelle que le stoïcisme est une philosophie de vie qui suit la raison, c’est-à-dire une vie en accord avec la nature, créée par Zeus. L’auteur propose ici de remplacer Zeus par Dieu afin de rendre la philosophie stoïcienne compatible avec toutes les religions. Mais William Irvine passe très rapidement sur cette hypothèse, qui mériterait d’être discuté davantage, pour approfondir sa propre position, à savoir la justification de la philosophie stoïcienne par les découvertes scientifiques modernes. Plus précisément, la suite de ce chapitre développe l’hypothèse selon laquelle les théories développées par la psychologie évolutionniste ou évolutionnaire justifient la pratique du stoïcisme. Je me permets de développer ce point, car il s’agit d’une hypothèse originale, quoique contestable.
Suivant la psychologie évolutionniste, William Irvine définit ce que nous sommes par nature comme le résultat de l’évolution de l’espèce humaine. C’est le processus évolutionniste qui a fait de nous ce que nous sommes, à savoir des êtres rationnels et sociables. La recherche de la survie et de la reproduction, deux éléments qui guident le processus évolutionniste semble difficilement compatible avec la tranquillité recherchée par le stoïcisme, cependant, et les efforts de William Irvine pour le justifier ne m’ont pas totalement convaincu. En effet, cette hypothèse le conduit à justifier un mauvais usage de nos capacités naturelles, contre ce que l’évolution a fait de nous naturellement. Le stoïcisme nous inviterait ainsi à aller contre notre nature (insatiabilité, crainte, recherche de considération sociale, et recherche de la reproduction) et à user de notre raison contre cette nature pour atteindre la tranquillité. Il me semble que cette hypothèse va contre l’opinion stoïcienne selon laquelle nous devons vivre de manière conforme à la nature.
Quoiqu’il en soit, William Irvine reconnaît ne pas être entièrement fidèle à la doctrine stoïcienne, justifiant cet écart par le public qu’il vise (les non-philosophes) et par son intérêt, qui est avant tout de savoir si les techniques psychologiques qu’il a présentées fonctionnent et apportent réellement la tranquillité recherchée.

Le chapitre 22 permet à William Irvine de conclure son ouvrage par le récit de sa propre pratique du stoïcisme, et ses conseils pour en tirer un maximum de bénéfices. On y trouve des indications intéressantes sur l’ordre des exercices stoïciens à adopter. Pour l’auteur, la visualisation négative est l’exercice idéal par lequel commencer afin d’être heureux de ce que l’on a actuellement et de se préparer à sa perte éventuelle. Ensuite, la trichotomie du contrôle permet de réduire facilement l’anxiété vis-à-vis des choses qui ne dépendent pas de nous.  Cet exercice permet d’internaliser ses objectifs et de diminuer le sentiment d’échec, peu importe le résultat de mon action. Le fatalisme vis-à-vis du passé et du présent est également recommandé pour les stoïciens débutants. D’autres exercices sont réservés aux stoïciens avancés, selon William Irvine, car ils demandent plus d’effort : il s’agit, en particulier, de l’inconfort volontaire, que celui-ci soit physique ou psychologique. William Irvine développe ici, à partir de son expérience personnelle, des exemples d’inconfort psychologique volontaire lui ayant apporté la maîtrise de soi. De même, la simplicité volontaire est plutôt conseillée aux stoïciens avancés, et permet d’entraîner sa capacité à profiter des choses simples de la vie.
William Irvine termine ce chapitre conclusif en rappelant l’importance des modèles à suivre ou des exemples à éviter, l’importance de bien se préparer à la vieillesse afin de bien vivre cet âge difficile de la vie, ainsi que l’utilité des principes stoïciens (en particulier la trichotomie du contrôle et la visualisation négative) pour aider les autres. En tant que stoïcien pratiquant, William Irvine témoigne ainsi de l’utilité du stoïcisme pour réfréner les émotions négatives et éprouver, de temps en temps, la joie d’exister.

L’ouvrage se termine par un programme de lecture stoïcien. William Irvine renvoie le lecteur vers les textes anciens, à commencer par les traités de Sénèque et les Lettres à Lucilius. Il mentionne également Musonius Rufus pour ses conseils pratiques concernant la vie quotidienne. On retrouve également, dans cette liste, le Manuel d’Epictète, les Pensées pour moi-même de Marc Aurèle, ainsi que les Vies des stoïciens grecs racontées par Diogène Laërce dans les Vies et doctrines des philosophes illustres. Concernant les auteurs modernes et contemporain, l’auteur conseille la lecture de Schopenhauer, Aphorismes sur la sagesse de la vie, dont le ton est résolument stoïcien, ainsi que la lecture de Tom Wolfe, A man in full, et James Stockdale, Courage under Fire, deux ouvrages témoignant, à travers le récit exemplaire d’une vie stoïcienne, de l’utilité de la pratique du stoïcisme aujourd’hui.


[1] « Le tireur doit tout faire pour atteindre le but, et pourtant c’est cet acte de tout faire pour atteindre le but, pour réaliser son dessein, c’est cet acte qui est, si je puis dire, la fin que recherche le tireur, et qui correspond à ce que nous appelons, quand il s’agit de la vie, le souverain bien : tandis que frapper le but n’est qu’une chose que l’on peut souhaiter, mais ce n’est pas une chose méritant à être recherchée pour elle-même. »
Cicéron, Des biens et des maux, III, 22.

Maël Goarzin

Docteur en philosophie, membre fondateur et secrétaire de Stoa Gallica, auteur du carnet de recherche Comment vivre au quotidien: https://biospraktikos.hypotheses.org/

1 commentaire

  1. Merci pour ce compte-rendu

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