Percevoir le passé en stoïcien

Ce texte est une traduction en français, par Michel Rayot et Maël Goarzin, de l’article de Piotr Stankiewicz, “The Stoic approach to thinking about the past” paru au mois de juin 2022 dans le magazine The Stoic, dirigé par Chuck Chakrapani. Nous remercions l’auteur et l’éditeur de The Stoic de nous avoir donné l’autorisation de traduire ce texte et de le publier ici.
Piotr Stankiewicz, docteur en philosophie, est  écrivain et philosophe, promoteur d’un stoïcisme réformé. Il est l’auteur de Manual of Reformed Stoicism et de Does Happiness Write Blank Pages?

un homme sur une flèche, qui avance dans la direction opposée

Percevoir le passé en stoïcien

par Piotr Stankiewicz

Il est certain que nous ne pouvons pas changer le passé. Cependant, nous pouvons et nous devons essayer de façonner la manière dont il se manifeste dans nos pensées et dans nos actions présentes. C’est exactement ce que recommandent les stoïciens.

Ce qui échappe à notre contrôle

La dichotomie du contrôle se caractérise par le fait qu’elle ne comporte pas de degrés. Soit nous pouvons contrôler quelque chose, soit nous ne le pouvons pas. Une situation donnée relève ou échappe à notre contrôle. Il n’y a ici ni position intermédiaire, ni surprise ou mystère. Toutes les choses qui sont hors de notre contrôle le sont de façon analogue. C’est un aspect bien connu de l’approche stoïcienne.

C’est le passé que nous contrôlons le moins

Cependant, nous pourrions dire que de toutes les choses qui échappent à notre contrôle, c’est bien le passé que nous contrôlons le moins. Réfléchissons un peu. Tous les événements passés, tout le panorama de notre vécu personnel et de l’histoire universelle, tout ce qui s’est passé avant ce moment précis, que ce soit il y a une heure, un jour ou un siècle, tout cela échappe à mon contrôle, mais aussi à celui de toute autre personne. Et il ne s’agit pas que de moi. Littéralement personne ne peut changer les événements passés. Ils sont, en fin de compte, irréversiblement et hermétiquement clos. Le passé peut se comparer au temps, aux marées, au mouvement des planètes. Le passé est finalement hors de portée humaine, complètement indépendant de quiconque.

Ne vous focalisez pas sur ce qui échappe à votre contrôle

Ce qui en découle est clair. La dichotomie du contrôle, qui est un des principes clés du stoïcisme, stipule que vous ne devez pas vous préoccuper de ce qui échappe à votre contrôle. Plus exactement, vous devriez vous concentrer sur ce que vous pouvez contrôler. Plus précisément encore : vous devriez utiliser ce qui reste sous votre contrôle (et seulement cela) pour façonner votre manière de penser, vos valeurs, vos objectifs et la compréhension que vous avez de vous-même et du monde.

Le passé nous influence

Mais approfondissons un peu. Qu’est-ce que cela signifie, précisément, que le passé soit hors de notre contrôle ? Bien sûr, ceci est vrai au sens propre : nous ne pouvons pas changer le passé. Personne ne peut le faire. Nous ne pouvons plus agir sur lui. Mais cela ne veut pas dire pour autant que nous sommes séparés du passé ou qu’il est sans intérêt. Le passé nous influence sans cesse ! Plus que cela, c’est le passé qui nous rend tels que nous sommes. Nous sommes façonnés par nos expériences, par l’histoire de notre vie, par nos traumatismes, nos sensibilités et nos particularités. Mon « Moi » actuel est le pur résultat de tous mes « Moi » passés et des expériences accumulées au fil du temps.

Nos récits changent au fil du temps

En outre, l’histoire nous enseigne que notre perception du passé dépend fondamentalement du récit et du contexte dans lesquels nous le plaçons. Généralement, les belligérants se souviennent d’une guerre, l’un et l’autre, d’une façon très différente. De plus, ces récits changent avec le temps. La Guerre de Sécession a été commémorée dans les années 1910 d’une façon complètement différente de celle dont elle a été commémorée dans les années 2010. A ce sujet, l’affirmation selon laquelle la Russie est un pays au passé imprévisible en est un exemple flagrant. Il est impossible de savoir comment la propagande de demain déformera l’histoire du pays pour servir des objectifs politiques.

Pour un regard stoïcien, qu’est-ce que cela signifie ? Je le répète souvent : « ne pas se concentrer sur ce qui échappe à notre contrôle » est un malentendu majeur sur la pratique stoïcienne. En fait, c’est le contraire qui est vrai. Ce que nous devons faire, c’est nous concentrer sur ce que nous contrôlons. Par conséquent, si nous appliquons cela au passé, nous découvrons qu’il est insuffisant de « ne pas se concentrer » sur le passé. L’approche stoïcienne consiste à diriger notre attention, et non à nous forcer à ne pas penser à quelque chose.

Nous pouvons modeler notre perception du passé

Par conséquent, nous ne sommes pas censés prétendre que le passé (nos expériences, notre parcours, notre conditionnement, nos amours passés, nos aventures, nos déceptions, l’histoire de notre vie en général) n’existe pas. Cela ne nous mènerait nulle part. Ce que nous devons faire, c’est nous concentrer sur notre façon de concevoir le passé. Ce que nous pensons aujourd’hui reste – permettez-moi de vous le rappeler – sous notre contrôle. Nous avons le pouvoir de travailler sur nos récits actuels, sur notre cadre de pensée actuel, sur la façon dont nous comprenons le monde et nous-mêmes. C’est exactement de cette façon que nous devons traiter le passé. Nous ne pouvons pas le changer, mais nous pouvons modeler notre façon de le considérer. C’est ce sur quoi nous devrions nous concentrer.

Il est certain que nous ne pouvons pas changer le passé. Cependant, nous pouvons et nous devons essayer de façonner la manière dont il se manifeste dans nos pensées et dans nos actions présentes. C’est exactement ce que recommandent les stoïciens.


Crédits: Photo by Smart on Unsplash.

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