Le texte ci-dessous est une traduction en français, par Michel Rayot et Maël Goarzin, de l’article de Enda Harte, “A three-pronged approach to journaling“, paru au mois de janvier 2023 dans le magazine The Stoic, dirigé par Chuck Chakrapani. Nous remercions l’auteur de cet article et l’éditeur de The Stoic de nous avoir donné l’autorisation de traduire ce texte et de le publier ici.
Enda Harte est consultant dans le monde de la musique et vit en Suède. Il écrit sur Medium à propos de l’éthique stoïcienne et son histoire.
Tenir son journal en trois étapes
par Enda Harte
Tenir un journal permet de maintenir l’attention à soi, contribuant ainsi à se rendre responsable de ses pensées et des actions qui en découlent.
Les exercices quotidiens de réflexion sur soi ne sont pas nouveaux. Ils remontent à la Grèce et la Rome antiques, où ils sont décrits pour la première fois dans Les Vers d’Or de Pythagore (6ème siècle avant JC). Pour autant, nous pensons qu’écrire son journal est l’un des meilleurs moyens de s’améliorer soi-même. Et cela correspond parfaitement au mode de vie stoïcien idéal que la plupart d’entre nous cherchent à atteindre.
Le préjugé le plus courant sur l’écriture d’un journal est qu’il sert uniquement à décrire ses sentiments ou à dissiper ses frustrations. Cependant, réalisé correctement, l’exercice d’écriture d’un journal permet de maintenir l’attention à soi, contribuant ainsi à se rendre responsable de ses pensées et des actions qui en découlent. Cet exercice est également utile pour examiner sa journée et identifier des points d’amélioration pour l’avenir.
L’exemple de trois grands stoïciens
Il n’est pas facile de voir un homme qui soit malheureux faute de prêter attention à ce qui se passe dans l’âme d’autrui. Quant à ceux qui n’observent pas les mouvements de leur âme propre, il est fatal qu’ils soient malheureux. – Marc Aurèle, Pensées, II, 8, traduit par A.-I. Trannoy.
Marc Aurèle
Marc Aurèle, probablement le stoïcien le plus célèbre aujourd’hui, était un grand adepte de la rédaction d’un journal. Ses « Pensées » n’étaient pas destinées à être lues par quiconque, mais ont été rédigées comme un carnet privé. Souvent dénommées « Pensées pour moi-même », elles ont été écrites sur les lignes de front germaniques, et n’ont gagné en popularité que plusieurs siècles plus tard, à titre posthume.
Marc Aurèle a tenu son journal suivant différentes techniques : en réfléchissant à ses actions, se demandant s’il vivait en accord avec ses principes ; en exprimant sa gratitude envers autrui et en rappelant les leçons qu’il pouvait en tirer ; et en réécrivant les enseignements stoïciens avec ses propres mots, pour en acquérir une compréhension plus profonde.
Ces techniques sont des outils puissants, capables de nous aider à déterminer si la vie que nous menons respecte nos principes et notre éthique. Elles nous aident également à percevoir les erreurs commises et à réfléchir aux possibilités d’amélioration au moment de vivre des situations ou des dilemmes similaires à l’avenir.
Sénèque
L’homme d’État et dramaturge romain Sénèque le Jeune se distingue de Marc Aurèle parce qu’il souhaitait que ses écrits soient lus. Nous savons que Sénèque écrivait en ayant conscience que d’autres personnes liraient ses lettres et ses réflexions. Ce qui ne veut pas dire que nous ne pouvons tirer profit de ses écrits pour mieux comprendre les avantages liés à l’écriture d’un journal.
Sénèque utilisait son journal principalement pour réfléchir sur sa journée ; c’était un outil d’introspection et de « plaidoirie devant son propre tribunal ». L’objectif était d’analyser ses actions et de montrer l’exemple. Avant tout, il s’agissait d’un outil précieux d’enrichissement personnel, permettant de surmonter l’adversité et de ne pas répéter les mêmes erreurs.
Épictète
Tout en étant le maître stoïcien le plus connu, Épictète, à notre connaissance, n’a rien écrit. Ses paroles et ses enseignements ont été transcrits par Arrien de Nicomède, un homme d’État romain hautement respecté et instruit, qui a suivi les cours d’Épictète en Grèce. Heureusement pour nous, quatre des huit Entretiens d’Epictète ont traversé les siècles.
Dans les Entretiens, on trouve la description d’une routine quotidienne conçue par Épictète et destinée à ses élèves ; elle implique la tenue d’un journal. Cette pratique, inspirée librement des Vers d’Or de Pythagore, nous renseigne davantage sur l’introspection et sur l’amélioration de soi[1].
Un exercice utile
Chaque soir, j’emprunte aux Anciens une technique dont les trois étapes constituent pour moi la meilleure manière de tenir un journal ; je la trouve efficace pour finir la journée et pour planifier la suivante, si le destin le permet.
Chaque soir, je m’asseois dans un endroit calme pour examiner mes progrès et je me pose trois questions simples, qui peuvent être rédigées comme suit :
- 1. Aujourd’hui, quelles ont été mes bonnes actions ? (Je réfléchis à ma progression personnelle, à la réalisation de mes objectifs clés et à la façon dont je me suis comporté avec les autres.)
- 2. Où me suis-je trompé ? (Je pense aux manques d’attention, aux fausses promesses que j’ai faites ou aux personnes que j’ai négligées.)
- 3. Comment m’améliorer demain ? (Je pense aux autres, à mes objectifs pour la journée et à la réparation des torts passés.)
Personnellement, cet exercice du soir m’a permis de suivre mes progrès, de me rendre responsable de mes actions et, je l’espère, de mieux agir avec mon prochain. Pourquoi ne pas essayer ?
[1] Note des traducteurs : Bien que l’auteur ne donne pas la référence exacte, il s’agit très probablement de ce passage des Entretiens d’Epictète (Entretiens, III, 10, 1-4) commenté ici par Maël Goarzin : https://biospraktikos.hypotheses.org/2324
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