L’ascèse des stoïciens: un mode de vie austère?

Un des principaux préjugés sur le sage stoïcien est son extrême ascétisme, son refus de tout plaisir et, de manière générale, son austérité. Oui, le stoïcisme demande une ascèse. Mais quel type d’ascèse ? Et l’ascèse stoïcienne est-elle le but du mode de vie philosophique ou bien le moyen privilégié par les stoïciens pour parvenir à ce but, à savoir une vie bonne et vertueuse, qui apporte joie et bonheur au quotidien, dans toutes les circonstances de la vie et quelles que soient ces circonstances (que ce soit la pauvreté, la mort d’un proche, la perte de ses biens, l’exil ou encore la souffrance physique) ?

Il n’est pas surprenant qu’un tel but exige un effort, qui se retrouve dans l’étymologie même du terme d’ascèse : askesis, en grec, c’est l’exercice, la pratique ou encore l’entraînement. L’ascèse est donc une préparation, qui demande un certain effort. Être stoïcien n’est pas facile. Mais quelle est cette ascèse stoïcienne, et jusqu’à quel point empêche-t-elle le stoïcien de goûter aux plaisirs du quotidien ? Jusqu’où va cette ascèse, et de quel plaisir ou de quelle joie l’ascèse stoïcienne permet-elle malgré tout de faire l’expérience ?

Les trois disciplines de l’ascèse stoïcienne

L’ascèse stoïcienne se divise en trois disciplines, trois types d’ascèse que le Manuel d’Épictète distingue explicitement et qu’il est possible de faire correspondre aux trois parties de la philosophie stoïcienne : la discipline du jugement ou de la représentation, tout d’abord, la discipline du désir ensuite, et enfin la discipline de l’action[1].

  • S’exercer quotidiennement à poser un jugement correct sur les choses : la discipline du jugement est l’exercice concret et vécu (askesis) de la logique, c’est-à-dire de la sûreté dans les jugements.
  • S’exercer quotidiennement à concevoir et accepter le monde tel qu’il est et accepter sa place dans le monde : la discipline du désir correspond à l’exercice concret et vécu (askesis) de la physique, dans lequel le philosophe accorde sa volonté à celle de la nature et se perçoit comme partie du Tout.
  • S’exercer quotidiennement à agir de manière conforme à la nature et selon les devoirs que notre rôle dans le monde nous impose : la discipline de l’action est l’exercice concret et vécu (askesis) de l’éthique et notamment la mise en œuvre des devoirs spécifiques à cette éthique.

Je ne vais pas approfondir ici ces trois disciplines de l’ascèse stoïcienne, mais je prendrai l’exemple de l’ascèse ou de la discipline de l’action, traitée par le Manuel d’Épictète aux chapitres 30 à 41 : qu’est-ce que le stoïcien peut ou doit faire pour vivre en stoïcien dans toutes les circonstances de la vie ?

Prendre au sérieux son choix de vie

Après avoir traité des devoirs envers les dieux aux chapitres 31 et 32, le Manuel propose toute une série de conseils sur la conduite à tenir dans la vie de tous les jours. De manière générale, il est recommandé de garder la maitrise de soi, de ne pas se laisser égarer par les passions, de se fixer une règle de vie et de s’y tenir.

« Fixe-toi désormais un certain style et modèle de vie auquel tu te tiendras, que tu sois seul avec toi-même ou que tu rencontres des hommes. » (Manuel, 33, 1, trad. P. Hadot)

De ce style de vie ou modèle de vie choisi vont découler certaines attitudes pratiques, certains comportements concrets que le Manuel énumère dans la suite du texte :

« Garde le silence, la plupart du temps, ou alors ne dis que les choses nécessaires et en peu de mots ; rarement, lorsque l’occasion parfois y invite, nous en viendrons à dire quelque chose, mais pas sur des choses sans importance, pas sur les combats de gladiateurs, les courses de chevaux, les athlètes, les mets ou les boissons – thèmes sur lesquels on bavarde partout[2] – et surtout, pas sur les gens, pour en faire la critique ou l’éloge, ou encore les comparer entre eux. Si cela t’est possible, ramène tes propos et ceux de tes compagnons à ce qui est convenable. Mais si tu te trouves seul parmi des étrangers, garde le silence.

Que le rire ne soit pas prolongé, ni à tout propos, ni sans retenue.

Refuse absolument de prêter serment, si cela est possible, sinon, refuse-le autant que les circonstances le permettent.

Évite les banquets des gens du dehors et qui ne sont pas philosophes. Si une fois l’occasion d’un tel banquet se présente, tends toute ton attention pour que tu ne tombes jamais dans les façons des non-philosophes. Sache en effet que si un de tes compagnons est souillé, il est nécessaire que celui qui le fréquente soit souillé, lui aussi, même s’il se trouve qu’il soit pur.

Quant aux choses qui ont rapport au corps, prends-les dans les limites du simple besoin de celui-ci, tel que nourritures, boisson, vêtement, maison, domesticité. Retranche tout ce qui a trait à l’ostentation ou au luxe. » (Manuel, 33, 2-7)

Ce qu’on remarque dans ce passage, c’est tout d’abord la disposition de sérieux requise par le stoïcien. Tout ce qui n’est pas lié au choix de vie philosophique est futile, et disperse, avilit : donc pas de bavardage ni de rire intempestif. Dans les conversations, pas de propos obscènes, de vantardise ou de plaisanteries vulgaires. Mais cette disposition de sérieux n’empêche pas le stoïcien de s’entretenir avec son entourage, ni même de participer aux banquets ou aux spectacles (Manuel, 33, 10-11).

Garder la mesure en toutes circonstances

Ce n’est pas tant la discussion, la participation au banquet ou le rire qui sont remis en cause ici par le Manuel, mais l’attitude non-philosophique du stoïcien dans toutes ces circonstances. Pour le rire, par exemple, il s’agira de garder la mesure, et de ne pas rire à tout propos, ni sans retenue. La suite du texte confirme ce danger du rire, non pas qu’il soit mauvais en lui-même, mais à cause de l’effet qu’il peut avoir sur le stoïcien et son entourage :

« Évite aussi de faire rire. C’est un terrain glissant qui entraîne vers la vulgarité et qui peut en même temps amener à se relâcher le respect que tes voisins ont pour toi. Il est dangereux aussi de tomber dans les propos obscènes. Quand donc quelque chose de tel arrive, si l’occasion est favorable, réprimande celui qui s’y est aventuré. Sinon, montre que ce langage te déplaît, par ton silence, ta rougeur et ton air sévère. » (Manuel, 33, 15-16).

L’attitude stoïcienne s’oppose ici clairement à l’hédonisme défini comme recherche constante du plaisir, on ne peut le nier, mais il semble tout de même que la discipline ou l’ascèse stoïcienne soit une mesure plus qu’un refus de participer aux activités plaisantes de la vie quotidienne. C’est cette même mesure que le chapitre 33 rappelle concernant la nourriture, la boisson et toutes les choses matérielles dont nous avons besoin pour vivre au quotidien. C’est cette même mesure que suggère aussi le chapitre 17 du traité de Sénèque Sur la tranquillité de l’âme.

Dans ce chapitre, Sénèque rappelle la nécessité, pour préserver la tranquillité de l’âme, de relâcher ou de détendre par moment l’attention de son esprit, d’alterner le travail et le divertissement :

« Il ne faut pas non plus tenir toujours l’esprit tendu ; il est bon de l’égayer quelquefois par des amusements. Socrate ne rougissait pas de jouer avec des enfants, et Caton cherchait dans le vin une distraction à son esprit fatigué des affaires publiques. (…) II faut donner du relâche à l’esprit : ses forces et son ardeur se remontent par le repos. Aux champs fertiles on n’impose pas le tribut d’une récolte, parce que leur fécondité, toujours mise à contribution, finirait par s’épuiser ; ainsi, un travail trop assidu éteint l’ardeur des esprits. Le repos et la distraction leur redonnent des forces. De la trop grande continuité de travaux, naissent l’épuisement et la langueur. » (Sénèque, De la tranquillité de l’âme, 17, 4-5).

L’ascèse stoïcienne ne consiste donc pas à se priver de tout et à ne jouir de rien, mais à garder la mesure[3]. Afin d’éviter à tout prix les passions, causes de trouble pour l’âme, il convient de ne jamais être dans l’excès. Et en ce sens, l’ascèse bien plus rigoureuse des premiers moines chrétiens, la souffrance physique que l’ascèse chrétienne implique, et qui s’explique par le modèle christique et le modèle des martyrs dont ils s’inspirent, s’oppose à l’ascèse stoïcienne.

La suite du Manuel confirme cet appel à la mesure, et non à l’abstinence, comme on pourrait le penser en lisant trop rapidement le Manuel et ses prescriptions à première vue très strictes :

« Pour chacun, la mesure de ce qu’il doit avoir, c’est son corps, comme le pied est la mesure de la chaussure. Si tu t’en tiens à cela, tu garderas la mesure. Si tu vas au-delà, il est nécessaire que finalement tu sois entraîné comme dans un précipice. Comme aussi dans le cas de la chaussure, si tu vas au-delà de ce dont ton pied a besoin, il y aura une chaussure dorée, puis de pourpre, puis brodée. Quand on va au-delà de la mesure, il n’y a plus de limite. » (Manuel, 39)

À la lecture de ces quelques extraits du Manuel, on voit que les deux caractéristiques principales de la vie du stoïcien sont le sérieux et la modération. Pas de quoi enthousiasmer les hédonistes qui nous lisent, bien sûr, mais le stoïcisme d’Épictète suggère une ascèse moins stricte que l’image que l’on peut se faire de l’ascèse stoïcienne. Non pas l’abstinence, mais la mesure. Non pas s’abstenir d’aller au banquet, mais garder son attention sur ses dispositions intérieures en toutes circonstances.

L’ascèse stoïcienne : un entraînement à la vertu

Comme toujours dans le stoïcisme, c’est la disposition intérieure qui importe par-dessus tout. Idéalement, le stoïcien doit être capable de rester dans de bonnes dispositions dans toutes les circonstances, et donc ne se priver de rien. Et tel est le cas du sage. Mais qu’en est-il de ceux, les plus nombreux, qui sont en chemin vers la sagesse ? Qu’en est-il des philosophes stoïciens ? Car c’est à eux que le Manuel d’Épictète s’adresse, et non au sage.

Pour éviter à ses élèves, simples progressants, d’être tentés par les excès, Épictète va en effet recommander à ses disciples une attitude très stricte, sévère même, et sans doute excessive si on ne replace pas ces recommandations dans ce contexte de préparation ou d’entraînement (askesis). En effet, cette sévérité dans les conseils pratiques adressés aux progressants s’explique par un souci d’éducation morale, de progrès dans la vertu et vers la sagesse. L’ascèse n’a pas sa fin en elle-même, mais dans l’acquisition de la vertu qu’elle va permettre pour le progressant.

Par la suite, une fois terminée cette formation au mode de vie stoïcien, le philosophe n’est pas exclu des spectacles, des banquets, du boire et du manger, car il sait éviter l’excès. Il a atteint la maîtrise de soi qui lui permet de vivre dans de bonnes dispositions dans n’importe quelles circonstances[4].

Épictète définit ainsi l’ascèse comme un exercice pour le progressant, mais non comme une fin en soi. L’ascèse stoïcienne est davantage un moyen, un exercice (askesis) pour atteindre la sagesse, la liberté, et le bonheur, comme le montre ce passage du chapitre 1 :

« Désirant donc des choses aussi élevées, souviens-toi que ce n’est pas en te contentant d’un effort modéré que tu dois chercher à les atteindre, mais qu’il y a des choses auxquelles tu dois totalement renoncer, et d’autres que tu dois remettre à plus tard pour le moment. » (Manuel, 1, 4)

Le renoncement et les privations, aussi appelés exercices d’inconfort volontaire, font bien partie du mode de vie stoïcien, car ils permettent aux débutants et aux progressants d’acquérir la maîtrise de soi. Si le sage n’a plus besoin de pratiquer ces exercices, ce n’est pas le cas du commun des mortels. Comme le rappelle ici Epictète, dans le cadre de leur formation philosophique, les stoïciens ne peuvent pas faire l’impasse sur cette forme d’ascétisme qui va au-delà du simple exercice de modération, et qui sollicite à la fois le corps et l’esprit. De même, Musonius Rufus, le maître d’Epictète, et Sénèque, rappellent dans les extraits suivants l’importance de ces exercices d’inconfort dans la poursuite de la vertu :

« Prends par-ci par-là un certain nombre de journées où tu te contenteras de la nourriture la plus modique et la plus commune, d’un vêtement grossier et rude, afin de pouvoir te dire : “C’est cela qui te faisait peur !” […] Que ce soit un vrai grabat, un sayon, du pain dur de la dernière qualité. Soutiens ce régime trois, quatre jours, quelquefois plus, en sorte qu’il n’y ait pas là un jeu, mais une épreuve. […] Ce n’est pas chose délectable que l’eau claire, la polente, un morceau de pain d’orge ; mais c’est un plaisir souverain que de savoir tirer de ces choses mêmes du plaisir et de s’être restreint à ce qu’aucune iniquité de la fortune ne saurait vous arracher. » – Sénèque, Lettres à Lucilius, Lettre 18, 5 ; 7 ; 10.

« Comment donc et de quelle manière leur faut-il s’exercer ? Comme l’homme n’est pas seulement une âme ni seulement un corps, mais un composé de ces deux, celui qui s’exerce doit nécessairement prendre soin des deux, plus de la partie supérieure, c’est-à-dire de l’âme, comme il est juste, mais il doit prendre soin aussi de l’autre partie, si du moins aucune partie de l’homme ne doit être défectueuse. Il faut en effet que le corps de celui qui s’adonne à la philosophie soit bien disposé pour les travaux corporels parce que souvent les vertus se servent du corps comme d’un instrument nécessaire pour les activités de la vie. Une partie donc de l’exercice devrait être correctement propre à l’âme seule, une autre partie devrait être commune à l’âme et au corps. Ainsi donc l’exercice commun aux deux aura lieu si nous nous accoutumons au froid, au chaud, à la soif, à la faim, à la frugalité de la nourriture, à la dureté de la couche, à l’abstinence des choses agréables, au support des choses pénibles. Par ces méthodes et autres semblables, le corps d’une part se fortifie, devient impassible contre la douleur, ferme, utile à toute tâche, l’âme d’autre part se fortifie en s’exerçant d’un côté au courage par le support des choses pénibles, de l’autre à la tempérance par l’abstinence des choses agréables. »

Musonius Rufus, Entretiens, VI, « Sur l’exercice ».

La privation et autres exercices d’inconfort volontaire sont des épreuves que les stoïciens s’imposent pour progresser dans l’acquisition des vertus, que ce soit le courage ou la tempérance. Loin d’être une fin en soi, ils ont pour but de s’entraîner ou de s’exercer (c’est le sens du grec askesis) en vue d’un mode de vie vertueux, caractérisé quant à lui par la mesure.

Suivre la mesure fixée par la nature

Marc Aurèle, dans les Pensées pour moi-même, reprend cette injonction d’Épictète à garder la mesure en toutes circonstances (Manuel, 39). Plus précisément, il s’agit pour l’empereur philosophe de garder la mesure fixée par la nature :

« À l’aurore, lorsque tu te réveilles péniblement, aie toute prête cette pensée : ”C’est pour faire œuvre d’homme que je m’éveille. Vais-je donc encore m’irriter, si je m’en vais faire ce pour quoi je suis né et ai été amené au monde ? Est-ce pour rester au chaud, couché dans mes couvertures, que j’ai été formé ? – Mais c’est plus agréable ! – Est-ce donc pour le plaisir que tu es né ? N’est-ce pas pour agir ? Ne vois-tu pas les plantes, les moineaux, les fourmis, les abeilles faire leur besogne propre, apportant leur part à l’ordre du monde ? Alors, ne veux-tu pas te presser d’agir conformément à ta nature ? – Mais il faut aussi prendre du repos. – Je le dis aussi ; mais la nature a fixé sa mesure, comme elle a fixé celle du manger et du boire ; pourtant tu dépasses cette mesure, tu vas au-delà de ce qui suffit.” » (Marc Aurèle, Pensées V, 1, trad. É. Bréhier)

Cette pensée de Marc Aurèle reprend l’argumentation mise en évidence à partir de la lecture du Manuel d’Épictète : le stoïcisme ne dit rien contre le repos, le manger ou le boire, mais demande de respecter la mesure que la nature impose à ces plaisirs naturels et nécessaires. « La nature a fixé la mesure », nous rappelle en effet Marc Aurèle. Or, pour un stoïcien, agir de manière conforme à la nature est la fin de l’être humain, fin dont la poursuite apporte le bonheur. La poursuite excessive des plaisirs, au contraire, n’est pas une fin conforme à la nature de l’être humain[5].

Comme Marc Aurèle le rappelle dans la pensée suivante, il est conforme à la nature d’agir avec modération, c’est-à-dire dans les limites fixées par la nature et par notre propre nature. L’action appropriée ou convenable, étant donnée notre constitution, est d’agir avec modération, dans nos rapports à l’autre comme dans notre rapport au corps :

« Chaque être doit agir selon sa constitution ; (…) La partie importante dans la constitution de l’homme, c’est la faculté sociable. En second lieu vient la faculté de ne pas céder aux impressions sensibles ; car le propre de la faculté raisonnable et intellectuelle, c’est de rester dans ses limites, de ne pas se laisser vaincre par les mouvements des sens et de l’inclination ; (…) En troisième lieu vient, dans la constitution raisonnable, la faculté de ne pas précipiter son jugement et de ne pas se tromper. Que la partie directrice de nous-mêmes s’attache à ces principes, et elle possède tout ce qui est à elle. » (Marc Aurèle, Pensées VII, 55)

Marc Aurèle établit un lien très fort entre la faculté raisonnable de l’être humain et la mesure que ce dernier doit suivre. La faculté rationnelle, qui distingue l’être humain parmi tous les êtres vivants, est précisément ce qui permet à l’homme de rester dans les limites, de ne pas tomber dans l’excès, avec comme résultat les passions et les erreurs de jugement.

La joie stoïcienne

La lecture des Pensées de Marc Aurèle et du chapitre 17 du traité de Sénèque Sur la Tranquillité de l’âme le confirme : le choix de vie stoïcien ne consiste pas à se priver de plaisirs, mais seulement d’un usage immodéré des plaisirs. Certes, le stoïcien débutant ou progressant doit parfois savoir s’abstenir, pour éviter l’excès, mais le sage, quant à lui, n’a plus besoin de se priver. Au contraire, le philosophe accompli est celui qui sait goûter aux joies simples de l’existence, à la joie de vivre le moment présent, mais aussi et surtout à la joie de vivre une vie bonne, en accord avec la nature et avec sa propre nature, une vie cohérente et dépourvue de troubles. C’est sur ces mots de Marc Aurèle, qui rappelle la joie que procure le mode de vie stoïcien[6], que je souhaite conclure :

« Chacun a des joies différentes : la mienne, c’est d’avoir une raison saine qui ne repousse pas les hommes ni les conjonctures humaines, qui voit tout et accepte tout d’un regard bienveillant, en usant des choses selon leur valeur. » (Marc Aurèle, Pensées VIII, 43)

« Toute nature est satisfaite d’elle-même quand elle suit le bon chemin. » (Marc Aurèle, Pensées VIII, 7)

« La joie de l’homme, c’est de faire les tâches propres de l’homme » (Marc Aurèle, VIII, 26, trad. A.-I. Trannoy)

L’ascèse stoïcienne, caractérisée notamment par la disposition de sérieux et la modération, ne s’oppose pas à la joie de vivre stoïcienne, mais en est le prérequis. Concomitante à la poursuite du choix de vie philosophique, elle découle naturellement de la réalisation de soi.


[1] Sur ces trois lieux de l’ascèse stoïcienne chez Épictète et Marc Aurèle, voir Pierre Hadot, Introduction aux « Pensées » de Marc Aurèle, Paris, Le livre de poche, p. 136-171 (pour Épictète) et p. 173-369 (pour Marc Aurèle). Pour une présentation plus brève de ces trois disciplines, voir Manuel d’Épictète, introduction, traduction et notes par Pierre Hadot, Librairie Générale Française, 2000, p. 66-67. Enfin, je renvoie à l’introduction au stoïcisme qui se trouve sur le site de Stoa Gallica : « Les trois thèmes d’exercice du stoïcisme ».

[2] Sur le bavardage, voir aussi Épictète, Entretiens, IV, 13.

[3] Sur la discipline mesurée de l’action dans le stoïcisme, lire aussi Marc Aurèle, Pensées, V, 1 ; VII, 55.

[4] Sur l’importance des dispositions intérieures dans le stoïcisme, lire la conclusion du chapitre 41 du Manuel d’Épictète.

[5] Marc Aurèle rappelle à plusieurs reprises que le plaisir n’est pas la fin de l’être humain raisonnable et sociable : lire, par exemple, Marc Aurèle, Pensées, VIII, 1 ; VIII, 19 ; IX, 1.

[6] Lire aussi Marc Aurèle, Pensées, III, 6. Cette pensée rappelle la joie que procure le choix de vie stoïcien. Il rappelle aussi, par contraste, ce qu’il faut éviter sous peine de se laisser distraire du choix de vie le meilleur. Or, parmi ces choses qui peuvent entraîner l’individu loin de son choix de vie initial, il y a la richesse, la réputation, et la jouissance des plaisirs. Encore une fois, Marc Aurèle ne dit pas que ces biens extérieurs sont des maux, mais qu’il ne faut pas les considérer de manière égale aux vertus associées à la vie la meilleure. Au contraire, ces biens extérieurs peuvent facilement détourner l’individu, ce qu’il faut éviter à tout prix, même si cela doit passer par l’abstinence, pour le progressant par exemple.


Crédits: Photo by Annie Spratt on Unsplash ; Photo by Joice Kelly on Unsplash

Maël Goarzin

Docteur en philosophie, membre fondateur et secrétaire de Stoa Gallica, auteur du carnet de recherche Comment vivre au quotidien: https://biospraktikos.hypotheses.org/

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