Les 9 leçons de vie que j’ai apprises en 60 ans

Massimo Pigliucci

Ce texte est une traduction en français, par Michel Rayot et Maël Goarzin, de l’article de Massimo Pigliucci, “Nine Life Lessons I Learned in Sixty Years” paru au mois d’août 2024 dans le magazine The Stoic. Nous remercions l’auteur de cet article et l’éditeur de The Stoic de nous avoir donné l’autorisation de traduire ce texte et de le publier ici. Il s’agit d’une version condensée et légèrement modifiée d’un article qui a été publié pour la première fois sur le site https://thephilosophygarden.substack.com/p/here-are-a-few-things-i-learned.

Massimo Pigliucci est Professeur de philosophie au City College of New York.


Les 9 leçons de vie que j’ai apprises en 60 ans

par Massimo Pigliucci

1. Tout ne dépend pas de nous

Il existe une distinction fondamentale entre ce qui dépend de moi et ce qui n’en dépend pas ; et je constate une amélioration constante dans ma vie chaque fois que je garde cette distinction fermement à l’esprit et que j’agis en conséquence. Cela implique de concentrer mes efforts sur les choses qui sont de mon ressort, tout en adoptant une attitude d’équanimité et d’acceptation envers tout le reste.

Parmi les choses, les unes dépendent de nous, les autres n’en déèpendent pas. Dépendent de nous, d’une part, le jugement, l’impulsion, le désir, l’aversion et en un mot toutes nos activités propres. Ne dépendent pas de nous, d’autre part, le corps, nos biens matériels, les opinions que les autres ont de nous, les magistratures et en un mot tout ce qui n’est pas notre activité propre. – Épictète, Manuel 1,1, trad. Olivier D’Jeranian.

2. Les jugements ne sont pas des faits

Il y a une autre distinction fondamentale qui peut nous être très utile : celle entre les jugements et les opinions (que nous générons intérieurement) et les faits ou événements (qui sont extérieurs à nous).

Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les faits, mais les opinions les concernant. – Épictète, Manuel, 5

3. Les relations sont importantes

Les relations sont sans conteste ce qu’il y a de plus important dans la vie d’un être humain.

Demande-toi longtemps si tu recevras un tel dans ton amitié. La décision prise, accueille-le de plein cœur. Converse avec lui aussi hardiment qu’avec toi-même. – Sénèque, Lettres à Lucilius, 3, 2, trad. H. Noblot, revue par P. Veyne.

Les stoïciens soutiennent que les êtres humains sont des animaux fondamentalement sociaux doués de raison. Ils en déduisent que la vie bonne est celle dans laquelle nous utilisons la raison pour rendre le monde meilleur pour tous. Et je dis bien pour tous ! D’où la notion de cosmopolitisme.

4. Méfiez-vous des présupposés

Lorsque les gens ne sont pas d’accord entre eux, souvent le désaccord ne porte pas tant sur les faits eux-mêmes, que sur des présupposés sous-jacents.

Imaginez que vous discutiez avec quelqu’un sur la qualité d’un film. Cela dure un certain temps, vous vous disputez sur des détails. Soudain, il vous vient à l’esprit de demander : qu’est-ce qu’un bon film ? Qu’est-ce qui fait vraiment qu’un film est meilleur qu’un autre ? Alors vous réalisez que vous êtes en train de vous disputer à propos d’un film spécifique – c’est la question qui est au premier plan – parce que vous avez des opinions différentes sur des questions plus larges qui se posent en arrière-plan. Ce sont ces questions de fond dont vous devriez discuter. – W. Farnsworth, The Socratic Method, ch. 17.

5. Les faits ne font pas changer d’avis les gens

Les gens changent rarement d’avis lorsqu’ils sont confrontés à des faits. Mais ils se sentent très mal à l’aise lorsqu’ils sont mis devant leurs propres contradictions, situation qui génère ce que les psychologues appellent une dissonance cognitive.

La technique du dialogue socratique évite généralement d’argumenter sur des faits extérieurs. Elle tente de contredire l’affirmation d’une personne en s’appuyant sur les convictions de celle-ci. C’est souvent plus sage, car il est étonnamment peu efficace de confronter les gens à des faits pour leur faire changer d’avis sur quoi que ce soit. – W. Farnsworth, The Socratic Method, ch. 18.

La lecture de livres de rhétorique m’a finalement permis de comprendre ce qu’il en est : si vous parvenez à amener une personne à être d’accord avec deux ou plusieurs propositions et que vous lui montrez ensuite que ces propositions sont en contradiction les unes avec les autres, la personne va marquer une pause et commencer à se demander si elle dispose bien de toutes les connaissances nécessaires sur le sujet.

6. Poser des questions plutôt que de donner un cours

Il vaut beaucoup mieux poser des questions que de donner des cours (y compris à mes étudiants). Cela vient également de Socrate, qui commençait souvent ses dialogues (des dialogues et non des cours ou des conférences) par quelque chose du genre : « Ne pourrions-nous pas nous poser quelques questions à ce sujet ? » (notez le « nous », ainsi que « nous poser quelques questions » plutôt que « je vais vous expliquer »).

7. Concentrons-nous sur le bien dont nous disposons

Il est de loin préférable de se concentrer sur le bien dont nous disposons plutôt que de poursuivre des choses que nous n’avons pas. Voici comment le formule Marc Aurèle, l’empereur-philosophe :

Ne pas penser aux choses absentes comme si elles étaient déjà présentes ; mais prendre en considération les plus favorables parmi celles qui sont présentes, et à propos de ces dernières, songer à quel point tu les rechercherais si elles faisaient défaut. – Marc Aurèle, Pensées, VII, 27, trad. A. Giavatto et R. Muller.

8. Ce qui est essentiel c’est la qualité et non la durée

La qualité de notre vie est très importante et non sa durée. Nous entendons parler de milliardaires qui souhaitent l’immortalité, même si beaucoup ne savent pas très bien quoi faire de leur week-end…

Celui-là se rend impossible la vie tranquille, qui cherche trop à continuer de vivre (…). L’humanité en général flotte misérablement entre la crainte de la mort et les afflictions de la vie : ils répugnent à vivre et ils ne savent pas mourir. – Sénèque, Lettres à Lucilius, 4, 4-5.

9. Nous pouvons beaucoup apprendre du passé

Nous pouvons beaucoup apprendre de nos prédécesseurs, pour peu que nous leur prêtions attention. Pourquoi les anciens ? Pourquoi prêter attention à des personnes (des hommes pour la plupart) mortes depuis quelques millénaires ? Parce qu’ils étaient nos semblables et qu’ils ont longuement réfléchi à la signification et à la manière de vivre une vie qui vaut la peine d’être vécue.

Comme l’écrit Sénèque :

Remonte pour ta part jusqu’aux anciens, qui sont, eux, de loisir. L’aide peut venir non seulement des vivants, mais de ceux qui ne sont plus. – Sénèque, Lettres à Lucilius, 52, 7.


Crédits: Massimo Pigliucci, par Tim Deschaumes, Licence CC BY-SA.

1 commentaire

  1. Merci beaucoup pour l’article

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