Les stoïciens de l’époque impériale : Sénèque, Épictète et Marc Aurèle

Courte biographie et principaux écrits des stoïciens impériaux

Sénèque (~-1-65)

Buste de Sénèque à Séville

Né à Cordoue (Espagne), Sénèque grandit à Rome, où il reçoit une éducation rhétorique et philosophique. En 31, après un séjour en Égypte, il commence le cursus honorum qui lui permettra d’accéder, au fil de sa carrière politique, aux plus hautes magistratures de l’Empire romain. Conseiller à la cour impériale pendant le règne de Caligula, il doit s’exiler en Corse en 41 sur ordre de l’empereur Claude, car il est accusé d’adultère avec l’une des sœurs de Caligula. En 50, Sénèque devient préteur, ainsi que précepteur de Néron, dont il sera le conseiller politique pendant cinq ans. Grâce à Néron, il devient une des fortunes les plus importantes de l’Empire. En 55, il devient consul. Tombé peu à peu en disgrâce, et compromis dans la conjuration de Pison contre Néron, il est condamné à mourir en 165, et il s’ouvre les veines, obéissant ainsi à l’ordre donné par l’empereur.

Principaux écrits de Sénèque : Lettres à Lucilius et autres traités

Auteur de nombreuses lettres (les Lettres à Lucilius notamment) et de plusieurs traités d’influence stoïcienne, il écrit aussi des tragédies.

Dans ces lettres, écrites en latin (alors qu’Epictète et Marc Aurèle écrivent en grec), Sénèque s’adresse à Lucilius, qui s’intéresse à la philosophie stoïcienne et que Sénèque va guider sur le chemin qui mène vers la sagesse, en abordant, au fur et à mesure des 124 lettres, une foule de sujets en lien avec la philosophie stoïcienne et la vie quotidienne de Lucilius ou de Sénèque. L’enjeu est pratique plus que théorique, même si certaines lettres reprennent de manière assez précise certains aspects doctrinaux essentiels du stoïcisme.

Dans d’autres traités, qui sont parfois de longues lettres adressées à l’un ou l’autre de ses correspondants, Sénèque aborde une question ou un thème particulier, en général central à la doctrine stoïcienne, comme la question de la providence, du bonheur, de la sagesse, de la tranquillité de l’âme, etc. Ces textes, parmi lesquels Sur la tranquillité de l’âme, De la brièveté de la vie, ou encore De la providence, sont plus systématiques dans leur structure, Sénèque essayant de répondre de la manière la plus complète possible à une question centrale de la doctrine stoïcienne.

Épictète (~50-~125-130)

Né à Hiérapolis (Phrygie), Épictète fut l’esclave d’Épaphrodite, un maître tyrannique proche de Néron qui l’emmena à Rome et n’hésitait pas à le maltraiter. Une anecdote raconte que torturé par son maître, il commença par le prévenir que sa jambe allait casser. La torture continuant, il se contenta de dire à son maître que la jambe était cassée. A Rome, il suit les cours du philosophe stoïcien Musonius Rufus. A la mort de son maître, il est affranchi et poursuit ses études philosophiques. En 94, il doit fuir Rome suite à un édit de l’empereur Domitien bannissant les philosophes de la péninsule italienne. Exilé à Nicopolis (Épire), il y fonde une école stoïcienne, très fréquentée et renommée. Son enseignement prend la forme de discussions, à partir de la lecture d’un texte stoïcien (Chrysippe ou Zénon) et des questions des auditeurs. Il mène une vie simple et frugale. Il vit seul une grande partie de sa vie, mais devenu vieux, il accueille chez lui un enfant dont les parents ne pouvaient plus s’occuper et sa nourrice. On a une assez bonne idée de son aspect extérieur : « un vieillard boiteux aux cheveux blancs, qui porte la barbe et le manteau du philosophe, mais se présente toujours propre et soigné, pour ne pas déranger les gens avec qui il se trouve »[1].

L’enseignement d’Épictète rapporté par Arrien : le Manuel et les Entretiens

Arrien, le disciple d’Épictète (50-130 env.), reprend dans ces deux textes l’enseignement de son maître. Épictète n’ayant rien écrit, ces deux textes sont donc la source principale de notre connaissance de sa philosophie.

Les Entretiens sont la transcription, par Arrien, de la deuxième partie des cours d’Épictète à Nicopolis, à savoir la discussion qui suivait traditionnellement la lecture et l’explication de textes stoïciens anciens (les textes de Chrysippe par exemple). D’où le titre de l’ouvrage et la forme dialoguée que l’on y retrouve régulièrement. Épictète répond ici à toutes les questions de ses élèves qui concernent la mise en application des principes expliqués de manière plus théorique dans la première partie du cours. Voilà pourquoi Épictète dialogue avec ses élèves de tous les sujets. Une lecture en diagonale des titres de chapitres des quatre livres qui composent aujourd’hui les Entretiens (il y en avait huit originellement) en est la preuve : Des choses qui dépendent de nous et de celles qui n’en dépendent pas (Livre I, chapitre 1), Quelle attitude faut-il avoir vis-à-vis des tyrans (I, 19), Sur l’absence de trouble (II, 2), Comment il faut combattre ses représentations (II, 18), Sur l’absence de crainte (IV, 7). Ces quelques titres n’ont rien de surprenant et rappelleront aux lecteurs familiers de la philosophie stoïcienne les thèmes majeurs du stoïcisme. Mais les Entretiens ont également l’intérêt d’aborder des sujets moins communs, et pourtant particulièrement intéressant pour celui qui souhaite vivre en philosophe, au quotidien : A l’homme qu’on surprit un jour en délit d’adultère (II, 4) ; A l’homme qui avait pris parti au théâtre de façon inconvenante (III, 4) ; A ceux qui lisent et discutent pour parader (III, 23) ; Contre les gens disputeurs et brutaux (IV, 5) ; De la propreté (IV, 11), etc. La liste est longue.

Le Manuel, quant à lui, est un condensé, réalisé par Arrien, des principes fondamentaux de l’enseignement d’Épictète tel qu’il apparaît dans les Entretiens. L’ouvrage est conçu par Arrien comme un résumé accessible des principes stoïciens, que l’on peut garder constamment sous la main. On y retrouve notamment les trois lieux ou domaines de l’activité philosophique, à savoir les disciplines du désir, de l’action et de l’assentiment.

Marc Aurèle (121-180)

Né à Rome, il est adopté par le futur empereur Antonin le pieux en 138. Fiancé à Faustine, fille d’Antonin, en 138, il vit pendant 23 ans dans l’intimité d’Antonin au palais impérial. Consul à trois reprises (en 140, 145 et 161), il rejette, à 25 ans, les études de rhétorique menées sous la coupe de Fronton, pour se consacrer à la philosophie, en particulier la philosophie stoïcienne. Influencé par Épictète, dont il connaît les textes, il a eu de nombreux maîtres de philosophie, non seulement stoïciens, mais aussi épicuriens et platoniciens. A la mort d’Antonin, en 161, il devient empereur, et le restera jusqu’à sa mort, en 180. Son règne, qui dure 19 ans, est marqué par les conflits. Il doit faire face à de nombreuses invasions. C’est lors de l’une de ses dernières campagnes loin de Rome qu’il rédige les écrits pour lui-même. Il a 14 enfants, parmi lesquels sa fille aînée Faustine, dont la mort en 176 le marquera fortement, et son fils Commode qui lui succèdera en tant qu’empereur. En 176, il fonde quatre chaires de philosophie lors de son passage à Athènes. En 180, il meurt à 58 ans, loin de Rome. Après sa mort, il fit l’objet d’une véritable vénération et restera un modèle pour ses successeurs, ayant toujours fait en sorte de ne pas agir en dictateur. Si le stoïcisme de Marc Aurèle ne l’a pas encouragé à proposer de grandes réformes politiques et sociales au cours de son règne, certaines décisions de l’empereur philosophe (la justice de ses jugements notamment), et son attention à certains détails (faire placer des matelas sous les acrobates lors de leurs exhibitions, par exemple) vont dans le sens d’une orientation stoïcienne de sa conduite en tant qu’empereur.

Le journal de Marc Aurèle : les Pensées pour moi-même

Ce texte écrit par l’empereur philosophe pour lui-même, sous la forme d’un journal, prend la forme d’une méditation, d’une introspection quotidienne. Il est le fruit d’un exercice d’écriture de soi qui permet à Marc Aurèle de se remémorer les principes d’action stoïciens, de revenir sur sa journée ou de visualiser la journée à venir, mais aussi de rendre grâces par écrit pour tous les bienfaits reçus des exemples de vertus qu’il a côtoyés tout au long de sa vie. On voit ainsi Marc Aurèle vivre en stoïcien, mettre en pratique les dogmes de la philosophie stoïcienne, et exprimer ces principes de manière très imagée, dans de nombreuses formules frappantes et faciles à mémoriser.


[1] P. P. Fuentes Gonzalez, « Épictète », in R. Goulet, Dictionnaire des philosophes antiques, tome III, Paris, CNRS Éditions, 2000, p. 117.


Crédits: Buste de Sénèque à Séville, par PRA, Licence CC BY-SA; Epictète, Domaine public; Buste en or de Marc Aurèle (vers 180), Musée romain d’Avenches, Licence CC BY-SA.

Maël Goarzin

Docteur en philosophie, membre fondateur et secrétaire de Stoa Gallica, auteur du carnet de recherche Comment vivre au quotidien: https://biospraktikos.hypotheses.org/

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