Parentalité et Stoïcisme : retour d’expérience

Il est courant de dire que l’on n’apprend pas à être parent. Pendant longtemps, j’étais d’accord avec cette idée. On désire le meilleur pour nos enfants et cela nous amène à commettre de nombreuses erreurs par ambition pour eux, pour un rêve non réalisé que l’on désire vivre à travers eux ou encore par crainte. Me concernant, je n’étais pas vraiment le père que je souhaitais. Un soir, alors que j’arrivais en retard au stream Twitch d’Un regard stoïcien, je fis la réflexion dans le fil de discussion de la difficulté qu’il y a à pratiquer le stoïcisme quand on est parent. Jean-Baptiste Roncari, animateur de l’émission me répondit : « Être parent est une opportunité de pratiquer le Stoïcisme. ». Sa réponse m’a positivement et grandement touché, mais il fallut laisser quelque temps encore avant de bien en comprendre le sens.

Le contrôle n’est pas un fardeau

La première réponse que le stoïcisme peut apporter quant au rôle de parent, c’est que tout n’est pas sous notre contrôle : « Des choses, les unes dépendent de nous, les autres n’en dépendent pas » (Manuel d’Epictète, 1.1)

Ce que mon enfant fait, ce qu’il dit, les réactions des autres à son égard sont hors de mon contrôle. Pendant longtemps, je pensais que je devais le préparer au mieux au futur, et cela m’a amené à être vraiment trop sévère et criard. La conséquence est une peur de l’enfant envers le parent, et une perte de confiance en lui et en ses figures d’attachement. En acceptant l’idée que je ne peux pas tout contrôler et que c’est à travers les vents et marées qu’il peut grandir, je deviens moins sensible, moins craintif. Alors, je deviens le mât qui l’aide à traverser les tempêtes.

Pratiquer le stoïcisme

Je lis régulièrement Marc Aurèle et Épictète. Ces derniers nous disent : « Parle peu. » (Marc Aurèle, Pensées, III, 5) et « Ne parle pas des maximes devant ceux qui ne sont pas philosophe. Fais plutôt ce que les maximes prescrivent » (Epictète, Manuel, 46). Jusqu’alors, je déblatérais de grandes théories sur la vie, sur les comportements des autres, sur la bonne façon d’agir. Et pourtant, cela m’amenait à ne pas entendre ce que disait mon enfant, à lui faire des leçons que son développement cognitif n’était pas encore capable d’intégrer. En revanche, parler peu me permet désormais d’entendre et surtout, d’écouter mon enfant.

Par ailleurs, agir selon les maximes donne l’exemple ; exemple que le développement cognitif de l’enfant est capable d’intégrer. J’ai souvent repris la lecture des textes stoïciens et pour chacune d’entre elles, j’ai cherché comment je peux l’appliquer en tant que père. Par exemple, Epictète dit dans son Manuel, au chapitre 45 : « Quelqu’un se baigne de bonne heure : ne dis pas que c’est mal ; dis que c’est de bonne heure […] Car, avant d’avoir reconnu comment il en juge, d’où peux-tu savoir si c’est mal ? ». En tant que père, cette maxime me rappelle que mes enfants font ce qu’ils peuvent dans leurs manières de s’exprimer et d’agir avec les outils qu’ils ont.

« Exerce-toi » dit encore Épictète dans son Manuel, aux chapitres 1.5 et 14.1. Il a raison ! Le changement ne se fait pas en un jour. S’améliorer demande une pratique quotidienne et l’on peut compter sur les exercices stoïciens pour se perfectionner. J’ai beaucoup pratiqué le regard d’en haut, l’éveil de conscience et la préméditation des maux, en particulier concernant mon rôle de parent. Cela m’a permis de prendre le recul nécessaire pour mieux vivre de nombreux évènements et pour voir ce qui me déplait dans mes réactions envers mes enfants, me permettant ainsi de travailler dessus.

Evoluer soi-même avant son enfant

Je dis souvent que si l’on veut changer de problème, il faut changer sa manière de vivre, de penser et d’agir. Un jour, alors que l’ambiance était électrique, je me suis posé la question suivante : « qu’est-ce qui est en mon pouvoir pour changer la situation ? » Là encore, un exercice stoïcien, la contemplation du sage, m’a permis de me remémorer les leçons des stoïciens de l’époque impériale ; Face à « un caprice » par exemple, je visualise comment un parent a su réagir calmement et humblement et a su apaiser la situation grâce à des mots doux et pertinents plutôt que des cris et de vaines menaces.

Au fil des semaines, j’ai pu améliorer ma manière d’agir et force est de constater que si l’on n’apprend pas à être parent, on peut apprendre à être une personne plus vertueuse et un exemple pour son prochain, et en particulier pour ses enfants. Ainsi, lorsque je me laisse aller à mes travers de parent craintif, que je crie, je peux observer à nouveau que c’est l’ensemble du foyer qui part en éclat.

Comme le disait Marc Aurèle au paragraphe 54 du livre VI de ses Pensées : « ce qui n’est pas utile à l’essaim n’est pas utile à l’abeille non plus. » Or, crier épuise tout le monde, la peur engendrée par d’éventuelles menaces détériore les relations autant que la confiance en soi et c’est l’ensemble des personnes qui en souffrent. Et puisqu’ « il n’arrive à personne rien qu’il ne soit naturellement à même de supporter » (Marc-Aurèle, Pensées, V, 18), il vaut mieux en chaque occasion, comme le dit Épictète au chapitre 10 de son Manuel, « se replier sur soi-même et chercher quelle faculté on possède pour se conduire ». Ces citations me permettent de vivre avec plus de calme les moments difficiles. Lorsque l’ambiance commence à épuiser ma patience, je la revitalise en me plongeant en moi-même dans des exercices de visualisation dans lesquels je possède une petite pièce de calme.

De plus, Marc Aurèle dit « Songe que tout n’est qu’opinion, et que l’opinion elle-même dépend de toi. Supprime donc ton opinion ; et, comme un vaisseau qui a doublé le cap, tu trouveras mer apaisée, calme complet, golfe sans vague » (XII, 22) et : « Si tu supprimes ton opinion sur ce qui semble t’affliger, tu te places toi-même dans la position la plus inébranlable » (VIII, 40). En effaçant le jugement de la situation, je m’autorise donc à retrouver le calme.

Le soir, la méditation de l’éveil de conscience me permet d’observer le jugement que j’ai adopté dans la journée et de chercher des solutions à ceux que je juge comme étant à améliorer. Le regard d’en haut me permet de relativiser ce qui est ou fût. Au matin, je n’oublie pas de me remémorer que les autres ont des défauts : « Je rencontrerai un indiscret, un ingrat, un insolent, un fourbe, un envieux, un insociable » (Marc Aurèle, Pensées, II, 1). À cette préparation des comportements, dont j’adapte la phrase aux vices qui m’ont touché la veille, j’ajoute que je suis moi aussi un être humain capable de ces vices et que je dois agir en père bienveillant.

Conclusion

En pratiquant aussi souvent que possible ce que prescrivent ces maximes (et d’autres) et en méditant quotidiennement grâce à la préméditation des maux et au regard d’en haut, le Stoïcisme m’a permis d’améliorer l’être que je suis et les rôles qui m’incombent, dont celui de parent. Souvent perçu à tort comme une philosophie égoïste, mon expérience de la philosophie stoïcienne dans les différents rôles de ma vie m’a clairement démontré qu’elle augmente la bienveillance et la générosité interpersonnelle. Il me parait évident aujourd’hui que si l’on me demande conseil d’un livre sur la parentalité, je répondrai le Manuel d’Epictète et les Pensées de Marc Aurèle.

Je considère le temps comme un grand bien, dans lequel nous nous devons d’agir aussi vite et aussi souvent que possible avec vertu. Je dis toujours que si l’on veut changer de problème, on doit changer de vie, et cela passe par changer son mode de pensée. Cependant, la routine peut être un frein à de nouvelles activités et même si nous devons apprendre à nous détacher de ce qui ne dépend pas de nous, dont la disparition potentielle d’un enfant, je me motive grâce à l’empereur qui dit ceci :

« Ne vois-tu pas que les arbustes, les moineaux, les fourmis, les araignées, les abeilles remplissent leur tâche respective et contribuent pour leur part à l’ordre du monde ? Et toi, après cela, tu ne veux pas faire ce qui convient à l’homme ? » (Marc Aurèle, Pensées, V, 1)


Crédits: Photo by Kelli McClintock on Unsplash

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