Pourquoi nous devrions nous efforcer d’être libérés des passions: la perspective stoïcienne

Ce texte est une traduction en français, par Jérôme Robin, de l’article de Keith Seddon, The Stoics on why we should strive to be free of the passions. Nous remercions l’auteur de cet article de nous avoir donné l’autorisation de traduire ce texte et de le publier ici.


Pourquoi nous devrions nous efforcer d’être libérés des passions: la perspective stoïcienne

par Keith Seddon

Comme les autres écoles de l’époque hellénistique, les stoïciens considèrent que la finalité correcte (telos) pour les êtres humains est le « bonheur » (eudaimonia) ou le « bien vivre » (eu zên). Aucune école n’avait signifié cela dans un sens descriptif : il n’est pas avéré que les gens aient une capacité innée pour faire ce qui est exigé dans le but de bien vivre. Les écoles hellénistiques, l’école stoïcienne y compris, se sont chargées de fournir leurs propres valeurs normatives en regard de ce que nous devrions faire pour bien vivre.

Dans les grandes lignes, la théorie stoïcienne considèrent que le seul bien est la vertu (aretê, « excellence de caractère ») et le seul mal est le vice, son contraire. Tout le reste est « indifférent » entre la vertu et le vice, n’étant en aucun sens bon ou mauvais. Ainsi, les stoïciens soutiennent que l’essentiel de l’humanité, en poursuivant la richesse et les biens matériels, le statut social, la santé et tout ce qui est considéré communément comme un bien, commet une erreur tant que cette poursuite est fondée sur la conviction que ces choses sont réellement bonnes, ou sont désirables parce qu’elles sont bonnes. Vivre vertueusement est nécessaire et suffisant pour bien vivre et être heureux, et les choses « indifférentes », bien que méritant d’être poursuivies dans la mesure où il est approprié pour les êtres humains de chercher un abri adéquat, de quoi se nourrir convenablement et une certaine compagnie, ne sont pas nécessaires pour atteindre l’eudaimonia.

La conception stoïcienne des choses indifférentes remonte à Platon (voir Ménon 87c-89a et Euthydème 278e-281e). Si nous acceptons que ce qui est bon doit nous être bénéfique inconditionnellement, nous pouvons constater que les biens conventionnels ne répondent pas à ce standard. La richesse, par exemple, n’est pas inconditionnellement bénéfique, puisque quelqu’un qui la possède peut l’utiliser pour accomplir des fins nuisibles ou honteuses. Et il en est de même avec tous les autres biens conventionnels. Pour bénéficier, quand c’est le cas, des résultats de l’usage convenable des biens conventionnels, et pour faire un usage correct de ces choses, nous devons être guidés par les vertus, car seul celui qui possède l’excellence de caractère a la capacité de faire un usage bénéfique des biens conventionnels. Si quelqu’un fait un usage bénéfique des biens conventionnels, et le fait sans avoir l’excellence de caractère, il ne s’agit de rien d’autre que d’un coup de chance. Ainsi, la possession de l’excellence de caractère profite inconditionnellement à son possesseur, et est à la fois nécessaire et suffisante pour bien vivre ; et une telle personne affichera les quatre vertus « cardinales » traditionnelles : la tempérance, la justice, le courage et la prudence. Dans toutes les circonstances et en tout temps, quand cela est approprié, une telle personne agira avec modération, sera juste envers les autres, affrontera les situations difficiles ou douloureuses avec courage, et choisira ses activités en les menant prudemment.

L’un des traits marquants du sage stoïcien, nécessaire pour jouir de l’eudaimonia, est un caractère entièrement apathês, « sans passion ». Je propose maintenant de discuter de cette notion d’apatheia, et d’examiner exactement pourquoi le sage stoïcien doit viser à l’atteindre, et ce qu’il peut faire concrètement pour y parvenir.

Dans la théorie stoïcienne, il y a quatre passions principales (pathê) : le désir (epithumia) est une impulsion vers une chose anticipée et considérée comme bonne ; la peur (phobos) est une répulsion vis-à-vis d’une chose anticipée et considérée comme mauvaise. Les deux autres pathê sont : le plaisir (hêdonê), une impulsion vers une chose présente et considérée comme bonne, et la peine (lupê), une répulsion vis-à-vis d’une chose présente et considérée comme mauvaise (voir Long et Sedley 1987, 65A-B). D’autres passions sont classées sous ces quatre passions principales. La colère, le désir sexuel et l’amour des richesses par exemple, sont des genres du désir (Long et Sedley 1987, 65E). Les stoïciens expliquent les passions en termes de jugements que nous faisons à propos des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons. Ainsi, la peine que quelqu’un peut ressentir face à un animal violent, est en partie due au jugement qu’il s’agit de quelque chose de mauvais, et la peur est en partie due au jugement que quelque chose de mal va se produire (comme la crainte que l’animal nous démembre). Ces passions sont bien sûr plus que de simples jugements. Les stoïciens soutiennent qu’elles sont aussi littéralement des mouvements de l’âme, puisqu’ils considèrent que l’âme est matérielle et que toutes ses fonctions doivent s’expliquer par ses caractéristiques physiques, le mouvement y compris ; et les passions sont aussi des impulsions qui provoquent des actions.

L’accent mis par les stoïciens sur le fait que les passions sont des jugements peut sembler contre-intuitif. Les passions ne sont-elles pas ce que nous subissons, c’est-à-dire ce qui n’est pas sous notre contrôle ? (Tel était le point de vue des anciens : pathê est proche de pathein, ce dont on souffre ou ce qui est fait à quelqu’un, cf. Annas, 1992, p. 103.) Tandis qu’avoir un jugement est quelque chose que l’agent fait, ce n’est pas du tout le genre de chose qui arrive quand quelqu’un est submergé par la passion. Pour comprendre à la fois comment et pourquoi, selon les stoïciens, nous devons nous efforcer d’être libérés des passions, nous devons comprendre pourquoi ils expliquent la passion en termes de jugement.

Comment les passions sont-elles liées à nos expériences ? Sont-elles simplement « des vagues aveugles d’affects, des mouvements ou des sensations qui sont identifiés, et distingués les uns des autres par leur seule qualité ressentie » ? (Nussbaum, 1994, p. 369) Non : les passions ont une composante cognitive essentielle sans laquelle elles ne seraient pas en mesure de servir, comme elles le font, à nous relier à ce qui se passe dans le monde. Les passions sont fondées sur la façon dont nous percevons le monde et dont nous jugeons les choses ; dès lors, les passions peuvent être évaluées comme appropriées ou inappropriées, justifiées ou injustifiées. Le fait d’estimer que nous avons été méprisés, par exemple, justifie et donne un sens à notre réaction de colère. Se mettre en colère et manifester sa colère n’a de sens que dans un contexte où je crois (que ce soit à tort ou à raison) que j’ai été traité injustement, que l’on a profité de moi, que l’on m’a insulté ou quelque chose du genre.

En réponse à toute manifestation de passion (ou quand nous avons une autre raison de croire qu’un agent est sous l’emprise d’une passion), nous pouvons demander à l’agent la raison de cette passion, et toute réponse satisfaisante comportera la référence à un ensemble de croyances sur la façon dont l’agent se représente le monde. En ce qui concerne notre exemple sur la colère, non seulement l’agent doit croire qu’il a été méprisé, ou autre chose, mais il doit aussi croire que cela est mauvais pour lui. Quelqu’un peut, par exemple, croire que ses biens ont été volés. Cette personne ne peut ressentir de la peine si elle ne croit pas aussi que la perte de ses possessions constitue un dommage, et que cela est mauvais pour lui. En outre, les objets ou les événements qui nous concernent, et auxquels nos passions s’attachent, doivent être assez substantiels, c’est-à-dire que la manière dont ils nous importent doit être assez importante, car, comme le souligne Nussbaum (1994, p. 370) nous ne vivons pas dans la peur que notre tasse de café se brise, nous ne nous mettons pas en colère suite au vol d’un trombone à papier, ni ne ressentons de la pitié pour quelqu’un qui a perdu une brosse à dents.

Dans cette perspective, nous pouvons soutenir avec les stoïciens que les passions peuvent toujours être évitées en décidant de ne pas donner notre assentiment à l’idée selon laquelle quelque chose de vraiment bon ou de vraiment mauvais nous arrive. Si je ne juge pas que j’ai été méprisé, je ne serai pas en colère. Si je ne juge pas que j’ai subi une perte, je ne serai pas affligé par la destruction de mon vase Ming. Certes, je pourrais faire cela, si je croyais vraiment que je n’ai pas été méprisé, et si je ne pensais pas que la perte de mon vase Ming soit un véritable désastre. Mais ne s’agit-il pas là d’un véritable préjudice ? Et le fait de gagner une énorme fortune à la loterie – de sorte que je puisse à la fois résoudre mes problèmes financiers et vivre dans le luxe jusqu’à la fin de mes jours – cela ne constitue-il pas un véritable bien ? La plupart des gens répondraient par l’affirmative. Mais les stoïciens s’y refusent.

En effet, les stoïciens soutiennent que seules les vertus et les actes vertueux sont véritablement bons, tandis que seuls les vices et les actes vicieux sont réellement mauvais (voir Long et Sedley, 1987, § 58). Les autres sortes de choses généralement jugées bénéfiques ou nuisibles – ou ni l’une ni l’autre – sont les « indifférents » ; il s’agit de choses telles que la santé, la richesse, les possessions, le statut, les relations, la beauté physique, l’intelligence, la maladie, la pauvreté, le manque de possessions, l’absence de statut, le peu de relations, la laideur, la maladresse, etc. Certains indifférents sont préférables, certains non-préférables, et certains d’entre eux ne sont ni l’un ni l’autre (comme le nombre pair ou impair de cheveux sur la tête (Long et Sedley 1987, 58B 2)). Les stoïciens poursuivent les choses préférables, non parce qu’elles sont bonnes, mais parce qu’il est « approprié » pour les êtres humains, en vertu de la nature du monde et en vertu de la sorte de créature que nous sommes, de le faire. (Il convient donc de préférer la santé, par exemple). Ce qui résulte des actes vertueux et des actes vicieux n’est ni bon ni mauvais, mais est préférable ou non.

Pour les stoïciens donc, toute passion est inappropriée parce qu’il ne peut y avoir de passion que dans la mesure où l’agent a un attachement pour quelque chose qui ne peut être que préférable ou non-préférable. Obtenir ou préserver ce qui est préférable ne peut constituer un bien, et subir ou endurer ce qui est non-préférable ne peut constituer un mal.

Si cette perspective est correcte, nous sommes confrontés à un choix simple. Soit nous reconnaissons la nature du monde et notre propre nature d’êtres rationnels au sein de celui-ci. Dans ce cas, si nous adoptons réellement la légitimité de la perspective stoïcienne, nous cesserons simplement d’avoir des passions – ce qui, pour clarifier d’une façon parmi d’autres en quoi consiste « adopter cette perspective », constituerait globalement une véritable transformation spirituelle suite à laquelle nos natures rationnelles seraient pleinement réalisées. Soit nous ignorons la perspective stoïcienne et échouerons alors à réaliser notre potentiel en tant que créatures rationnelles.

Les stoïciens disent que nous devrions prendre la voie stoïcienne parce que c’est la meilleure chose que nous puissions atteindre ; suivre toute autre voie serait irrationnel. Est-ce que cela ne laisse pas le disciple de la voie stoïcienne s’éloigner de ce que la plupart des gens considéreraient comme vraiment humain vers ce qui ressemblerait à une sorte de machine, un androïde insensible tiré d’une histoire de science-fiction ?

Pas tout à fait. Le stoïcien sera apathês, sans passion (non pas apathique, mais libéré des passions), mais pas totalement sans sentiment. Il est impossible pour le stoïcien d’éliminer des réactions purement physiologiques telle que la surprise suite à un bruit inattendu ou fort, ou le fait de défaillir sous une chaleur excessive (voir Long et Sedley 1987, 65Y). Comme nous tous, le stoïcien aura la réponse physiologique habituelle, sursauter ou tourner de l’œil, et ils auront aussi les sensations phénoménologiques habituelles qui accompagnent ces réponses. Mais les Stoïciens ont aussi, disent-ils, trois « réactions affectives », les « bons sentiments » (eupatheiai) : la circonspection (eulabeia), le souhait (boulêsis) et la joie (chara) (voir Long et Sedley, 1987, 65F). Nussbaum (1994, 398) les décrit comme des « motivations qui aideront [l’agent] à se diriger parmi les choses indifférentes ». Au lieu d’avoir peur, le stoïcien sera circonspect ; au lieu d’avoir des désirs, ils auront des souhaits ; et au lieu de sentir le plaisir, ils sentiront la joie (il n’y a pas de « bon sentiment » correspondant à la peine, la quatrième des passions primaires). Ces sentiments particuliers ne découlent pas du jugement selon lequel des choses bonnes ou mauvaises se produisent ou se produiront mais de considérations purement rationnelles selon lesquelles l’agent fait usage de ses capacités aussi bien que possible dans la poursuite appropriée de ce qui est préférable. Des jugements sont toujours requis. Mais au lieu de dire : « Je ressens du plaisir parce que j’ai obtenu quelque chose de bon » (ce jugement sera toujours faux), le stoïcien dit : « Je ressens de la joie parce que j’ai acquis de manière appropriée un indifférent préférable ». Il est difficile de voir que le contenu phénoménologique de la passion et du bon sentiment doivent être toujours différents – en effet, nous pouvons décider qu’ils doivent toujours être les mêmes – mais il semble cohérent de considérer que le premier jugement a pour objet un bien inexistant, tandis que le second jugement a pour objet un indifférent existant.

L’argumentation des stoïciens est solide. S’il est vrai que la distinction entre le bien et le mal et les indifférents préférables et non-préférables est légitime, et s’il est vrai que seule ma manière d’agir vertueuse est bonne pour moi (ou que ma manière d’agir vicieuse est mauvaise pour moi) alors il devrait être bon pour moi d’abandonner les passions. Si j’accepte ostensiblement cette vérité, mais que je n’agis pas immédiatement sans passion, cela reflètera dans quelle mesure je n’ai pas correctement adopté la théorie stoïcienne des passions plutôt que de montrer à quel point la théorie est erronée.

Si je souhaite associer mon sort à celui des créatures rationnelles de cet univers, je dois me conformer à la théorie stoïcienne des passions. En pratique, plus je modère ma réponse émotionnelle aux circonstances, plus il est facile de voir comment une réponse émotionnelle serait inappropriée et irrationnelle, et plus il est facile de voir comment le seul bien dont je peux profiter dans ce monde est ce bien que je peux m’assurer en cherchant à perfectionner ma nature rationnelle et vertueuse, et à devenir véritablement apathês.

Les stoïciens nous offrent alors un choix difficile. Soit nous continuons comme nous le faisons, nous abandonnant à l’attrait et à la fascination des « choses extérieures », sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle, pris en otage par les sentiments et les émotions que le monde dans son ensemble réveille en nous, soit nous prenons position et reconnaissons, si nous le pouvons, que les stoïciens ont raison de déclarer que notre seul bien consiste exclusivement à adopter une vie de vertu.

Comment éviter de devenir la proie des passions ? Nous devons nous répéter encore et encore que tout « bien » que nous rencontrons est simplement un indifférent préférable. Si nous trouvons un billet de vingt euros dans la rue, si nous obtenons une augmentation de salaire, si nous semblons être favorisés de quelque façon que ce soit, nous devons dire que ce n’est pas vraiment quelque chose de bon pour nous ; nos divers projets et intérêts peuvent en effet être favorisés par de telles éventualités, et il est rationnel de préférer une vie qui contient davantage plutôt que moins d’incidents de ce genre. En effet, c’est ce qu’il faut préférer, et devions-nous être si favorisés, nous ne pouvons faire de notre vie une vie bonne qu’en étant bons, en agissant bien, en agissant vertueusement.

Et quand de « mauvaises » choses se produisent, nous devons dire immédiatement que ce n’est pas vraiment mauvais – car nous n’avons pas (si c’est vrai) agi de manière vicieuse. Tout ce qui a été lésé, c’est mon projet, quel qu’il soit. En agissant bien, j’ai fait tout ce que je pouvais faire et tout ce qui était requis pour m’assurer une bonne vie.

C’est une manière si étrange de voir le monde et la façon dont nous nous y engageons, qu’un effort continu doit être fait pour maintenir notre progrès dans la vie de la sagesse vertueuse. Les stoïciens recommandent une variété d’exercices pratiques au moyen desquels nous pouvons « faire des progrès ». Certains exigent l’auto-observation. Comme l’a dit le stoïcien Epictète, le philosophe stoïcien « s’espionne lui-même comme un ennemi, un ennemi prêt à tendre des embûches » (Manuel 48.3, trad. P. Hadot). Sénèque recommandait une revue quotidienne de nos activités ; en rapport avec la passion de la colère (bien que cela puisse s’appliquer de manière générale), il disait :

Donc tous les sens doivent être entraînés à l’endurance ; ils sont résistants par nature, si l’âme cesse de les corrompre, c’est elle qu’il faut appeler chaque jour à la reddition de comptes. C’est ce que faisait Sextius : la journée écoulée, une fois retiré dans sa chambre pour le repos de la nuit, il interrogeait son âme : « De quel mal t’es-tu guérie aujourd’hui ? Quel vice as-tu combattu ? En quoi es-tu meilleure ? » La colère cessera et se modérera, si elle sait qu’il lui faudra venir chaque jour devant le juge. Est-il rien de plus beau que cette coutume de scruter toute une journée ? Quel sommeil suit cet examen de soi-même, qu’il est tranquille, profond et libre quand l’esprit a été loué ou averti, quand il s’est fait l’espion, le censeur secret de ses propres mœurs ! J’use de cette faculté et chaque jour je plaide ma cause devant moi. Quand on a enlevé le flambeau et que ma femme, déjà habituée à ma manière d’agir, s’est tue, j’examine toute ma journée et je mesure mes faits et dits ; je ne me cache rien, je ne passe rien. Pourquoi craindrais-je quelqu’un de mes égarements, puisque je puis dire : « Prends garde de ne pas recommencer. Pour cette fois je te pardonne. Tu as mis trop de vivacité dans cette discussion ; n’entre plus en lutte désormais avec des ignorants ; ils ne veulent pas apprendre, ceux qui n’ont jamais appris. Tu as réprimandé celui-là plus vertement que tu ne devais ; aussi tu ne l’as pas corrigé, mais choqué ; vois à l’avenir non seulement si ce que tu dis est vrai, mais si celui à qui tu le dis est capable d’entendre la vérité. L’homme vertueux aime les divertissements, les vicieux souffrent difficilement un directeur. »

Sénèque, La Colère, III.XXXVI.1–4 (trad. E. Bourgery, revue par P. Veyne)

Un autre exercice auquel Sénèque fait allusion à travers ses écrits consiste à utiliser notre imagination pour anticiper les désastres. Quand quelque chose de « mauvais » se produit, bien sûr, nous disons que ce n’est pas vraiment mauvais, mais que c’est simplement un indifférent non-préférable, mais plus que cela, nous pouvons dire que c’est le genre de chose qui peut arriver aux créatures qui sont constituées comme nous le sommes et qui vivent comme nous. Il n’y a rien d’étonnant, et ce n’est pas dommageable, et nous ne devrions pas y répondre émotionnellement. Nous savions tout du long que cela pourrait arriver.

Mais le nouvel étudiant qui décide en toute bonne foi de pratiquer cette philosophie en s’efforçant honnêtement de la vivre, doit aussi être invité à lire les auteurs stoïciens ainsi que la littérature secondaire. Car la philosophie stoïcienne constitue un système dans lequel chaque partie est reliée à toutes les autres parties, et il n’a pas été possible de montrer comment cela s’articule dans ce court article. Pour orienter sa vie en tant que stoïcien, il faudra connaître la conception stoïcienne du « logos » divin, notre relation avec lui et notre participation à celui-ci, ainsi que la compréhension stoïcienne du déterminisme, du destin et de la providence. Beaucoup diront qu’il s’agit là d’une compréhension mystique des choses, mais s’efforcer de l’acquérir, disent les stoïciens, revient à s’efforcer de perfectionner notre rationalité et nous-mêmes. C’est cela, et peut-être cela seulement, qui nous rendra véritablement humain.


Crédits: Texte de © Keith Seddon, Ph.D. 2000

Crédits: Photo de Alessandro Bellone sur Unsplash

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