Le côté positif d’une vie bouleversée

Ce texte est une traduction en français, par Michel Rayot et Maël Goarzin, de l’article de Karen Duffy, “The upside of a life turned upside down“, paru au mois d’août 2022 dans le magazine The Stoic, dirigé par Chuck Chakrapani. Nous remercions l’auteur de cet article et l’éditeur de The Stoic de nous avoir donné l’autorisation de traduire ce texte et de le publier ici.

Karen Duffy est productrice, actrice et ancienne présentatrice sur MTV. Son dernier livre sur le stoïcisme : Wise Up.


Le côté positif d’une vie bouleversée

par Karen Duffy

« J’ai dû faire le deuil de mon ancienne vie pour trouver comment vivre au mieux dans la nouvelle. Je dois jouer le jeu avec ce qui m’a été donné. »

La douleur qui te blesse, la douleur qui te transforme

Il y a la douleur qui te blesse et celle qui te transforme. La douleur chronique te transforme. 50 millions de personnes aux États-Unis vivent avec une douleur chronique, et je suis l’une d’entre elles. Vous l’êtes peut-être également ; on estime que dans le monde entier, 1,5 milliard de personnes sont concernées.

Il y a 20 ans, j’ai développé un mal de tête horrible qui ne disparaissait pas. On m’a finalement diagnostiqué une maladie rare, la sarcoïdose du système nerveux central. La lésion de la taille d’une saucisse-cocktail qui se développait sur la moelle épinière a été résorbée par des années de chimiothérapie, mais les lésions nerveuses demeurent. Chaque jour, je me réveille avec la sensation d’avoir un perroquet invisible et malveillant sur l’épaule droite, qui plante ses griffes acérées dans ma clavicule et picore mon cou délicat de son bec dentelé.

Au début, j’avais honte de ma maladie et des handicaps qu’elle générait. J’ai perdu l’usage de la main gauche ainsi que mon équilibre, j’avais besoin d’une canne. J’entrais dans la trentaine et je clopinais comme une vieillarde.

Je me sentais gênée de susciter l’inquiétude de mes proches. J’ai essayé de cacher ma maladie comme on essaye de dissimuler une tache sur une chemise blanche éclatante. Tenter de cacher une maladie et une douleur chronique, c’est comme essayer de garder un ballon de plage sous l’eau : il finira par ressortir et on le prend en pleine figure.

J’ai dû apprendre que, lorsque l’on vit avec des douleurs chroniques, il faut l’accepter pleinement. Cela ne veut pas dire se résigner. L’acceptation m’a libérée de l’amertume liée au fait que la vie n’a pas pris le cours que j’attendais et m’a permis de tirer le meilleur parti de la vie que j’aurai désormais.

La maladie affecte le corps, non l’esprit

J’avais lu Marc Aurèle, mais ce n’est que lorsque j’ai été atteinte par la maladie que j’ai commencé à lire Épictète. Il vivait dans la douleur chronique, et je fus inspirée par le lien qui nous unissait. S’il pouvait accepter son affliction et la dominer pour devenir un grand enseignant, je pourrais sans doute accepter ma nouvelle condition et devenir une étudiante impliquée et inspirée.

La maladie affecte le corps, non l’esprit – Epictète, Manuel, 9

La souffrance est inévitable, la douleur est facultative

Haruki Marukami a écrit : « la douleur est inévitable, la souffrance est facultative ». C’est une façon d’interpréter la dichotomie du contrôle stoïcienne. Je ne peux pas contrôler le moment où ma douleur s’enflamme dans une poussée invalidante, mais je peux choisir d’accepter que cela fasse partie de ma vie, et de m’y adapter. Je prévois des périodes de repos, et je prends les médicaments qui m’aident à supporter la douleur. On dit qu’à New York, on n’est jamais à plus de deux mètres d’un rat ; je ne suis jamais à plus de deux mètres de mes médicaments. Je me suis réconciliée avec le fait que les médicaments que je prends pour rester en vie ont provoqué la chute de mes cheveux, m’ont fait apparaître une moustache et ont affecté ma mobilité et ma vision.

L’amiral James Bond Stockdale, pilote de chasse américain dont l’avion a été abattu pendant la guerre du Vietnam, a pris pour guide l’enseignement d’Épictète lors de ses 7 ans de captivité dans le camp de prisonniers tristement célèbre « le Hanoi Hilton ». Il a été frappé et torturé à plusieurs reprises. Comme son mentor Épictète, il avait la jambe cassée. Pendant deux ans, des fers entravaient ses jambes 24 heures sur 24. J’ai réalisé que, si Épictète avait pu aider Stockdale à supporter cela, il pourrait m’aider à surmonter mes petites misères.

Je dois jouer le jeu avec ce qui m’a été donné

J’ai dû faire le deuil de mon ancienne vie pour trouver comment vivre au mieux dans la nouvelle. Je dois jouer le jeu avec ce qui m’a été donné. Quand je suis bloquée sur mon canapé, comme Gulliver, attaquée par la douleur, je cherche à tirer le maximum de la journée en prenant des cours en ligne et en lisant. Je trouve une manière de me sentir utile, même si c’est simplement pour écrire une lettre de remerciement. Aujourd’hui, J’accepte d’ajuster mes objectifs.

Les difficultés sont ce qui révèle les hommes. Par suite, quand tu rencontres une difficulté, songe que le dieu, à l’instar d’un maître de gymnase, t’a mis aux prises avec un jeune et rude adversaire. -Dans quel but ? demande l’interlocuteur. -Pour que tu sois vainqueur aux jeux olympiques…–

Epictète, Entretiens I, 24,1-2 traduit par R. Muller

J’aime à penser que les moments difficiles ont révélé ma vraie nature : je suis défenseur des personnes souffrantes et étudiante en philosophie, et je ne suis certainement pas André Le Géant.


Crédits: Photo by Anthony Tran on Unsplash

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