Vivre avec la douleur: la feuille de route stoïcienne

Ce texte est une traduction en français, par Michel Rayot et Maël Goarzin, de l’article de Santara Gonzales, “Dealing with pain: a Stoic roadmap“, paru au mois d’octobre 2022 dans le magazine The Stoic, dirigé par Chuck Chakrapani. Nous remercions l’auteur de cet article et l’éditeur de The Stoic de nous avoir donné l’autorisation de traduire ce texte et de le publier ici.

Santara Gonzales est la Présidente et co-fondatrice de Wisdom Unlocked, une organisation à but non lucratif qui utilise les principes stoïciens pour aider des personnes à garder de bonnes dispositions dans les circonstances difficiles.


Vivre avec la douleur: la feuille de route stoïcienne

par Santara Gonzales

« Souffrir ou choisir de faire tout ce qui est sous notre contrôle pour alléger notre souffrance. »

Il y a deux semaines, je ne pensais pas être en mesure d’écrire cet article. J’éprouvais une douleur intense dans mon bras gauche qui m’empêchait d’effectuer les tâches les plus simples.

Rediriger notre esprit sur ce que nous pouvons contrôler

Cherchant désespérément à réduire mon désarroi, je me suis tournée vers les stoïciens afin de trouver une feuille de route pour soulager ma souffrance. Le philosophe stoïcien Epictète nous exhorte (Entretiens, I, 1) à distinguer ce qui est sous notre contrôle et ce qui ne l’est pas. Nous pouvons souffrir, ou choisir de faire tout ce qui est sous notre contrôle pour alléger notre souffrance. Cela implique non seulement de soigner la douleur physique, mais aussi de changer notre façon de penser, c’est-à-dire notre manière d’aborder ce qui nous fait souffrir.

Personne n’aime la douleur ; elle est désagréable et peut nous empêcher de faire ce que nous aimons. Lorsque nous avons mal, nous pouvons même avoir tendance à dramatiser cette douleur. Nous la déplorons ; nous voudrions qu’elle ne soit pas là, et nous nous focalisons sur elle. Nous passons notre douleur au microscope, en ne nous concentrant sur rien d’autre, et ce faisant, nous amplifions notre détresse. Rediriger notre esprit sur ce que nous pouvons contrôler – nos pensées et notre attitude envers la douleur – nous mettra sur la voie du soulagement.

Notre relation à la douleur

Les stoïciens fournissent de précieux conseils pour gérer la douleur et la souffrance. Ils nous apprennent à modifier notre relation à la douleur : comment la considérer et l’aborder. En modifiant notre attitude à l’égard de la douleur, nous pouvons constater que ce que nous considérions comme insupportable ne l’est plus. Sénèque écrit que « chacun est misérable dans la mesure où il croit l’être » (Sénèque, Lettres à Lucilius, 78, 13, trad. H. Noblot, revue par P. Veyne). Alors qu’il souffre, il écrit à son ami Lucilius : « Il sera bon aussi de distraire son esprit vers d’autres pensées et de perdre de vue ses souffrances. » (78, 18)

Si l’on écoute Sénèque, nous pouvons penser à nos belles actions ou à ce qui nous rend heureux. Face à la maladie, la douleur peut être une chose sans importance si nous n’y ajoutons pas des pensées négatives.

Dans la même lettre, Sénèque écrit : « Et de fait les grands principes consolateurs ont une vertu de guérison, et tout ce qui élève le moral profite à l’être physique. » (78, 3)

La douleur peut être source de progrès et de transformation

Le stoïcisme nous enseigne que la douleur peut aussi être source de progrès et de transformation. Nous pouvons nous demander s’il y a une leçon à tirer de notre douleur ou s’il y a un élément positif dans cette expérience. Cette situation pourra-t-elle nous rendre plus fort ou nous donner l’occasion de faire quelque chose de différent ? Si vous vous cassez le bras droit, cela peut être l’occasion de commencer à écrire de la main gauche. Le coureur qui ne peut plus courir en raison de la douleur peut encore entraîner d’autres coureurs.

Quand on est alité, on peut apprendre une nouvelle langue. Recentrer notre pensée pour nous concentrer sur ce que nous pouvons quand même faire et contrôler nous aidera à surmonter notre souffrance. Voici ce que répond Epictète lorsqu’on lui demande ce qu’il fera de la maladie : « J’en montrerai la nature, je brillerai en elle, je serai ferme, heureux. (…) J’en ferai une chose bienheureuse, un bonheur, quelque chose de vénérable et d’enviable » (Épictète, Entretiens, Livre III, 20, 14, trad. R. Muller).

Une autre approche stoïcienne de la douleur consiste à se demander si nous sommes capables de supporter bien pire, ou si nous avons déjà enduré davantage par le passé. Peut-être connaissons-nous quelqu’un qui a supporté encore plus de souffrances que nous et qui s’est épanoui malgré la douleur. Mettre notre douleur en perspective et l’appréhender de façon sereine et objective nous permet de reconnaître que la douleur varie en intensité et peut finir par disparaître. Sénèque nous rappelle dans cette lettre que lorsque la douleur et la souffrance se sont apaisées, nous pouvons alors nous réjouir : « ce qui fut douloureux à supporter, il est agréable de l’avoir supporté ; il est naturel qu’on se réjouisse de voir finie sa misère. » (Sénèque, Lettres à Lucilius, 78, 14). De plus, Épictète, dans le Manuel (chapitre 10), nous assure que nous disposons des ressources nécessaires pour relever chaque défi et que lorsque nous faisons face à la douleur, nous découvrons le pouvoir de l’endurance.

Supporter et s’épanouir

La douleur est inévitable, nous en ferons certainement l’expérience au cours de notre existence. Dans ces moments-là, lorsque nous sentons notre corps saisi par la douleur, nous devons nous rappeler que notre attitude vis-à-vis de la souffrance demeure sous notre contrôle. Nous pouvons choisir : intensifier notre douleur en nous focalisant sur le mal ressenti, ou suivre les enseignements stoïciens, en acceptant notre situation, pour l’affronter avec dignité et courage, tout en sachant que nous pouvons la supporter et nous épanouir malgré la douleur.


Crédits: Photo by Anh Nguyen on Unsplash

3 commentaire

  1. Très intéressant. C’est justement l’expérience de la douleur chronique m’a emmener au stoïcisme.
    Je peut conseiller les livres de l’anthropologue David Le Breton pour approfondir. Ou alors celui de Frédéric Dionne “Libérez vous de la douleur” pour une approche plus pratique (Psychothérapie ACT).

    1. Merci Julien pour ces références!

  2. Et aussi ces conseils précieux de Marc-Aurèle, adressés à lui-même, et donc à nous tous : Pensées VII, 33 et VIII, 28.

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