Le texte ci-dessous est un extrait du livre de Donald Robertson, Stoicism and the art of Happiness, Londres, Teach yourself, 2013, p. 8-11. Traduction de l’anglais par Elen Buzaré. Nous remercions Donald Robertson de nous avoir donné l’autorisation de publier la traduction de ce texte.
Alors que croyaient les stoïciens? Eh bien c’est l’objet de tout ce livre. Toutes les anciennes écoles de philosophie s’accordaient pour dire que le but ultime de la vie était le bonheur ou l’eudaimonia. Nous allons explorer le concept stoïcien de Bonheur plus en détail dans les chapitres suivants. Zénon écrivit cependant à l’origine que «le bonheur est une vie qui suit un cours harmonieux» (euroia biou), définition adoptée par les autres fondateurs de l’école stoïcienne. Cela soulève évidemment une autre question: comment les stoïciens croient-ils que nous pourrions réaliser une vie heureuse et au cours harmonieux?
Zénon essaya d’exprimer sa philosophie au moyen d’affirmations laconiques et a notoirement condensé des arguments “syllogistiques” qui ont dû être élaborés par ses disciples. La définition la plus célèbre du but de la vie selon les stoïciens, qui est attribuée soit à Zénon soit à Chrysippe, est simplement “vivre en accord avec la nature” et plusieurs variations peuvent être trouvées dans la littérature stoïcienne. “Notre devise, comme tout le monde le sait”, écrit Sénèque, “est de vivre en conformité avec la nature” (Lettres à Lucilius, 5). En effet, on dit que Zénon a écrit un livre intitulé “Sur la vie en accord avec la nature”. Cela est donc devenu le slogan et la doctrine centrale du stoïcisme au cours des âges, parfois encore plus abrégé: “suivre la nature”. Cependant, quatre siècles plus tard, le maître stoïcien Epictète expliquera à ses élèves que, si les principales doctrines stoïciennes étaient à l’origine résumées en de brèves maximes, lorsque nous essayons d’en expliquer le sens, cela soulève inévitablement des questions comme celles-ci: “quelle est la nature dans l’individu et la nature dans l’univers?”; les explications deviennent alors plus longues.
Que signifie donc “vivre en accord avec la nature”? Nous démêlerons ce slogan cryptique tout au long de ce livre. Cependant, pour commencer, il est important d’expliquer que les stoïciens affirmaient également, d’après ce qu’on dit, que le but de la vie était de “vivre en accord avec la vertu”, ou l’excellence humaine. En d’autres termes, ils pensaient que nous sommes tous nés avec la responsabilité de porter notre nature à sa perfection. Cela signifie terminer le travail laissé inachevé par la Nature elle-même, en faisant le meilleur usage de notre plus haute faculté, la raison. Il est important de noter que pour les stoïciens, les humains adultes sont essentiellement des créatures de raison et par voie de conséquence “pour l’être raisonnable, la même action est à la fois conforme à la nature et à la raison” (Marc Aurèle, Méditations, 7.11). “Suivre la nature” ne signifie donc pas agir comme un animal stupide, mais plutôt épanouir notre potentiel naturel en tant qu’animaux humains. En effet, on dit que Chrysippe affirma:
«Par où donc commencerai-je? demande Chrysippe, quel fondement donnerai-je aux devoirs, et quelle matière à la vertu si je laisse et la nature et ce qui lui est conforme ?»
(Cité par Plutarque, Des notions communes, 1069e)
Les stoïciens ont donc souligné la nécessité de réfléchir à ce que serait un être humain parfait, quelqu’un dont la vie serait à la fois honorable et profitable à lui-même et aux autres. Ils l’ont envisagé comme une personne ayant atteint la sagesse pratique complète et la “vertu”. Par “vertu” ils entendaient l’“excellence” ou l’épanouissement de notre nature humaine rationnelle, plutôt que ce que nous pourrions comprendre aujourd’hui comme un comportement “vertueux”. Comme nous le verrons, les stoïciens ont soutenu que la nature humaine était essentiellement rationnelle et sociale, et que par voie de conséquence la sagesse et la justice étaient les pinacles de la réalisation humaine.
Le but de chaque vie humaine est de s’efforcer d’aller volontairement dans cette direction. Le stoïcisme est donc une philosophie qui concentre des enseignements sur la façon d’exceller dans la vie, sur la façon de devenir de meilleurs êtres humains et sur la façon de mener une vie bonne. Il peut donc ressembler parfois un peu à une religion, bien que basé avant tout sur la rationalité plutôt que sur la foi et pour cette raison, les gens l’ont parfois comparé au bouddhisme. Fournir un équivalent occidental, dans une certaine mesure, aux “manières de vivre” philosophiques que l’on peut trouver dans beaucoup de religions orientales fait partie de son attrait pour beaucoup de lecteurs modernes.
Il suit de cette prémisse que notre nature essentielle est rationnelle et que la plus grande des vertus est la sagesse et le plus grand des vices la folie ou l’ignorance. Les humains ont reçu le don de la connaissance consciente et nous sommes invités par la nature à être les spectateurs et interprètes de l’univers; les stoïciens croyaient que notre tâche fondamentale dans la vie était de bien faire les choses, en excellant en termes de connaissance et de compréhension au sujet des choses les plus importantes dans la vie. Cela peut être résumé par l’atteinte de la sagesse dans l’art de de vivre, ou la “prudence” faute d’un meilleur mot. En effet, le mot “philosophie” signifie littéralement “amour de la sagesse” en grec.
Le but de la vie est par voie de conséquence le but de la philosophie: aimer et atteindre la sagesse, particulièrement au regard de la manière dont nous vivons réellement nos vies, ce qui pourrait être décrit comme la sagesse pratique ou morale. En fait, la sagesse pratique, la connaissance de ce qui est bien et de ce qui est mal, était considérée par les stoïciens comme le socle de toutes les autres formes d’excellence humaine, qui étaient généralement englobées sous les quatre vertus cardinales de la sagesse, de la justice, du courage et de l’autodiscipline (la tempérance). Comme nous le verrons, les stoïciens croyaient que les vertus cardinales étaient à la fois des compétences pratiques et des formes de connaissance, impliquant une compréhension assurée de ce qui est bien et de ce qui est mal dans différentes situations.
L’école d’Epictète a fait le principal thème de toute sa philosophie la doctrine selon laquelle nous devons faire très prudemment la distinction entre ce qui est “à nous”, ou en notre pouvoir et ce qui ne l’est pas. C’est parce que le bien suprême de la vie est directement situé dans la sphère de notre contrôle, dans nos propres actions et jugements; tout le reste est classé comme “indifférent” au regard de la vie bonne. Il y a là sans doute de quoi alimenter la pensée, et par des aliments qui prendront du temps pour être mâchés et digérés correctement.
La conclusion philosophique selon laquelle le bien suprême, la chose la plus importante dans la vie, doit nécessairement être “à nous” et sous notre contrôle direct est à la fois l’aspect le plus difficile et le plus séduisant du stoïcisme. Cela nous rend complètement et entièrement responsable de la seule chose la plus importante dans la vie, ne nous laissant aucune excuse pour ne pas nous épanouir et vivre la meilleure des vies possible car cela est toujours à notre portée. Cette dichotomie fondamentale entre ce qui est ”à nous” et ce qui ne l’est pas a donc été décrite comme le principe “souverain” et le plus caractéristique. Nous y reviendrons sans arrêt dans ce qui suit!
Bonjour
Merci pour la traduction. Quel dommage que ce livre de Donald Robertson n’existe pas en français.
Au final , quelles sont svp les plus grandes valeurs de vie du stoïcisme : la nature , progresser , la justice ….? Pouvez vous svp m’apporter un éclairage ?
J’entends le mot valeur en tant que référence déterminante pour la conduite d’une vie
Merci encore pour votre site et longue vie à StoaGallica.
Bonjour,
Merci pour votre commentaires et vos encouragements.
Pour répondre à votre question, je dirais que la référence majeure et la boussole du stoïcien est la vie selon la vertu ( arêtè en grec, qui peut se traduire également par l’”excellence”, le “bien” ou le “beau”) ce qui est la même chose que de vivre selon la nature.
La vertu se décline traditionnellement en quatre vertus cardinales que sont le prudence (ou sagesse pratique), la courage, la modération et la justice. Ces quatre vertus cardinales sont elle-même subdivisées en vertus mineures.
Des articles sont programmés en ce sens pour approfondir ce point.
So keep in touch 🙂
Merci Elen pour votre retour.
Je suis impatient de de découvrir ces vertus mineures issues des vertus cardinales. Si vous avez des références sur le sujet, un grand merci d’avance !
Bonjour,
Il y a malheureusement peu de recherches universitaires sur ce sujet. Un livre d’Olivier D’Jeranian à paraître va un peu traiter de la question. Nous allons essayer de nous en occuper.
Par contre, vous trouverez peut-être intéressant de lire le Traité des devoirs de Cicéron, Livre I, 18-159 où il traite des quatre vertus cardinales.
Bien à vous
Bonjour ! Moi,j’aimerais avoir des explications sur la conception de la mort selon les stoïciens.
Bonjour,
Je peux vous conseiller la lecture de plusieurs articles à ce sujet. La mort est en effet un sujet central chez les stoïciens, un sujet de méditation même, comme expliqué et exemplifié par Marc Aurèle notamment: https://biospraktikos.hypotheses.org/1643
Quant à la question de savoir ce qu’il advient de l’âme après la mort, je vous renvoie vers cet article de Pierre Haese: https://stoagallica.fr/les-stoiciens-et-lame/
Un troisième article, écrit par Flora Bernard, traite spécifiquement de la manière d’affronter la mort: https://stoagallica.fr/peut-on-bien-mourir/
Un dernier article, enfin, pourrait être utile pour tout ce qui concerne la manière stoïcienne d’appréhender la vieillesse et la mort. Il s’agit du compte-rendu du livre de William Irvine, dont certains chapitres sont consacrés à cette question: https://stoagallica.fr/a-guide-to-the-good-life-william-irvine/
En espérant que ces quelques références vous permettent de poursuivre votre réflexion.
Meilleures salutations,
Maël Goarzin