Ce texte est une traduction en français, par Michel Rayot et Maël Goarzin, de l’article de Chuck Chakrapani, “Joy through everyday experiences“, paru au mois d’août 2023 dans le magazine The Stoic. Nous remercions l’auteur de cet article et l’éditeur de The Stoic de nous avoir donné l’autorisation de traduire ce texte et de le publier ici.
La joie au quotidien
par Chuck Chakrapani
Pour les stoïciens, la joie provient d’une vie vertueuse menée sous le signe de la raison. Cependant, ils ont donné quelques indications particulières pour cultiver la joie au quotidien.
1. Cultiver la joie au quotidien
Nous sommes entourés de choses qui peuvent être source de joie.
Mais nous ne parvenons pas à nous en rendre compte et courons à la recherche de ce que nous n’avons pas : argent, pouvoir, situation sociale ou toute autre chose. Écoutons Marc Aurèle, pour qui la joie est partout.
Observe encore ceci : toute chose que produit la nature, quoi qui vienne à se produire en elle, garde même en cela je ne sais quelle grâce et quel attrait. Par exemple, la cuisson du pain en fait éclater certaines parties ; bien que ces craquelures soient en quelque sorte contraires au dessein de la fabrication, elles ne déplaisent pas ; elles donnent véritablement envie de manger. Ainsi encore, les figues, dans leur pleine maturité, se fendillent.
Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, III, 2, trad. L.-L. Grateloup.
Même si vous pensez que certaines choses sont déplaisantes en soi, vous pourrez être fascinés par elles si vous êtes en symbiose avec la nature.
Ainsi nous verrons de véritables gueules béantes de bêtes féroces avec autant de plaisir qu’en donnent les peintres et les sculpteurs ; nous pourrons, avec l’œil du sage, reconnaître dans la vieille femme et dans le vieillard, comme la grâce dans l’adolescent, la beauté de ce qui est arrivé à son achèvement Il y a beaucoup d’autres faits semblables qui ne persuaderont pas tout le monde et que comprendra seul celui qui se sera vraiment familiarisé avec la nature et avec ses œuvres.
Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, III, 2.
Rien ne sert d’attendre une occasion spéciale, de gagner plus d’argent ou d’obtenir une promotion pour trouver la joie. Vous pouvez la trouver ici et maintenant, dans la vie que vous menez. Sénèque le souligne :
Aucun sort n’est si rigoureux qu’une âme raisonnable n’y trouve quelque sujet de réconfort.
Sénèque. De la tranquillité de l’âme, X, 4, trad. R. Waltz revue par P. Veyne.
Puis il continue,
Il faut également se promener en pleine campagne, car le ciel libre et le grand air stimulent et avivent l’âme.
Sénèque. De la tranquillité de l’âme, XVII, 8.
Pour le stoïcien, la joie ne s’éprouve donc pas seulement lors d’un voyage exotique ou d’une visite dans un musée. La joie est partout : lors d’un lever de soleil, avec la brise, la tempête, la foudre, le tonnerre, la pluie; une araignée qui tisse sa toile, un insecte qui rampe, un enfant qui rit, un étranger qui sourit, une promenade ; tout ceci peut être source de joie si vous êtes disponible et attentif.
Un stoïcien n’attend pas un événement particulier, il ressent la joie en toutes circonstances.
2. Se débarrasser des obstacles à la joie
Les stoïciens ne pensent pas atteindre la joie en agissant de façon particulière. Si vous ne ressentez pas la joie c’est qu’un obstacle se dresse sur votre chemin. Quel est-il ? Vous. C’est vous qui en êtes la cause, par le manque d’examen de vos représentations, par vos peurs et vos désirs artificiels.
C’est ainsi que, enchaînés à une foule de choses, nous sommes alourdis et entraînés par elles.
Épictète, Entretiens, I, 1, trad. R. Muller.
L’objectif, pour un stoïcien, est de se débarrasser des choses qui se dressent entre lui et l’eudémonie, sentiment de bien-être qui se traduit par la joie. Voici ce que Sénèque indique pour atteindre une joie sereine :
Ces objets qui attirent les regards, devant quoi on s’arrête, qu’on se montre l’un à l’autre avec ébahissement, brillent au-dehors, au-dedans ils sont misérables. (…) Tu comprends, même si je ne l’ajoutais pas, qu’il s’ensuit une tranquillité, une liberté perpétuelle, puisque nous avons chassé ce qui nous irrite ou nous terrifie.
Sénèque, De la vie heureuse, II, 4-III, 4, trad. A. Bourgery, revue par P. Veyne.
En termes simples, pour éprouver de la joie, ne vous attardez pas sur le passé, ne vous inquiétez pas de l’avenir mais vivez seulement dans le présent. Laissez tomber les choses extérieures qui vous tourmentent.
3. L’urgence d’une vie joyeuse
Non seulement nous ne parvenons pas à reconnaître les choses qui nous réjouissent, mais même quand nous les remarquons, nous remettons à plus tard la joie qu’elles nous procurent. Nous pensons avoir tout notre temps. Non, dit Marc Aurèle, pour au moins deux raisons : nous pouvons mourir à tout moment et, avec l’âge, nos sens perdent de leur acuité. Peut-être que notre vue sera altérée, que notre goût ou notre audition seront affaiblis ; il est donc grand temps de profiter de tout ce qui nous entoure.
Il faut se dépêcher, non seulement parce que chaque instant nous rapproche de la mort, mais aussi parce qu’on perd avant de mourir la capacité de comprendre les choses et leurs conséquences.
Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, III, 1, trad. M. Goarzin.
Épictète confirme :
Pourquoi ne pas profiter du festival de la vie quand il se présente ?
Epictète, Entretiens, IV, 1.
Et Sénèque exprime ainsi l’urgence à son ami Lucilius :
Prends, je t’en conjure, ô mon cher Lucilius, la seule voie qui te puisse mener à la joie
Sénèque, Lettre à Lucilius, 23, 6.
Donc la joie, c’est maintenant ! Inutile de la remettre à plus tard.
Une version allongée de cet article, en anglais, est disponible sur le site TheStoicGym.com :
Stoic Joy : 1. Why are we not joyful?
Crédits: Photo de Jacqueline Munguía sur Unsplash.