Le juste équilibre stoïcien pour prodiguer de bons soins

Ce texte est une traduction en français, par Michel Rayot et Maël Goarzin, de l’article de Brandon Tumblin, “The middle ground when caring as a stoic” paru au mois de février 2024 dans le magazine The Stoic. Nous remercions l’auteur de cet article et l’éditeur de The Stoic de nous avoir donné l’autorisation de traduire ce texte et de le publier ici.


Le juste équilibre stoïcien pour prodiguer de bons soins

par Brandon Tumblin

Certains soignants s’attachent beaucoup trop à leurs patients. Ce faisant, ils se mettent dans un position qui les condamne à vivre des moments très difficiles lorsque leurs patients viennent inévitablement à mourir. D’autres, à l’inverse, adoptent une attitude que l’on pourrait qualifier de « froideur ». Heureusement, le stoïcisme offre un cadre idéal pour prendre soin des autres en préservant sa stabilité émotionnelle, tout en étant véritablement attentionné.

Le non-attachement stoïcien

Le non-attachement stoïcien semble être mal compris par de nombreuses personnes. Cela ne signifie pas que les stoïciens ne se préoccupent pas des autres. Non seulement c’est faux, mais c’est une contre-vérité ! Par définition, les stoïciens se soucient profondément des autres en tant que membres du même cosmos.
Cela ne sous-entend pas non plus que les stoïciens ne devraient pas établir de relations. Encore une autre contre-vérité. Une de plus serait de prétendre que les stoïciens ne pleurent en cas de décès de l’un de leurs proches.

Après avoir clarifié ce que n’est pas le non-attachement stoïcien, tentons de le définir.

Par définition, les autres font partie des « choses extérieures » et de ce fait, parvenir au bonheur (eudaimonia) ne dépend pas d’elles. Plus simplement, cela signifie que nous pouvons continuer de vivre une vie épanouie même après avoir perdu certains ou même la totalité de nos amis et de notre famille. 
Cela ne veut certainement pas dire que les amis et la famille ne sont pas importants mais, qu’ils soient vivants ou non, c’est en nous que nous trouvons la paix que nous recherchons. Il est indéniable que le stoïcisme favorise la cohésion sociale et la création de liens, mais il doivent être établis dans une perspective adéquate.

L’attitude de froideur

Le non-attachement stoïcien défini, nous pouvons maintenant expliquer pourquoi l’une des approches typiques en matière de soins n’est pas appropriée. Les soignants qui se montrent indifférents et froids dans leurs prétendus « soins » sont stoïques, mais certainement pas stoïciens. Les caractères stoïques ne ressentent pas d’émotions. Ils répriment les sentiments d’amour et les liens trop profonds car ils redoutent le chagrin qui survient lorsque ces relations prennent fin.

Dans la psychologie humaine, il est indéniable que c’est contre nature. L’inclinaison psychologique des êtres humains vers l’établissement de relations est fondamentale et si nous nous éloignons délibérément de cela, notre vie ne sera pas épanouie.

Le caring excessif (over-caring)

Ne pas se soucier ou se soucier trop peu des autres n’est manifestement pas la bonne approche même si elle est couramment adoptée pour se protéger d’un futur chagrin. Qu’en est-il d’un caring excessif (over-caring) ? Les personnes qui adoptent cette attitude sont très attachées émotionnellement à chaque patient. Elles plongent tête baissée dans une relation forte, ce qui souvent leur causera une grande souffrance lorsqu’elles devront affronter la séparation. 

Cette approche est certainement bonne pour ceux qui bénéficient des soins (au moins à court terme), mais qu’en est-il pour ceux qui les prodiguent ? Lorsque de nouvelles relations se développent, il en résulte pour ces personnes une forte sensation d’attachement et une libération de dopamine. Lorsque les relations se terminent, cela suscite un profond chagrin. Il est compréhensible que cette approche puisse avoir des conséquences néfastes.

Il est également facile à imaginer que les soignants qui commencent de cette manière seront probablement tentés ensuite d’adopter l’attitude de froideur pour atténuer la souffrance liée au deuil. C’est vraiment regrettable.

Le juste milieu

Où se situe le juste milieu en matière de soins ? Nous avons établi les excès : se détacher froidement des patients qui ont besoin de soins, ou s’attacher de manière excessive.

Il existe un juste équilibre en matière de soins, même si cela peut être difficile à admettre.

Les soignants doivent s’efforcer de prendre soin de leurs patients et d’établir des relations avec eux, mais en acceptant pleinement que le temps qu’ils passeront ensemble est limité et que la relation en elle-même n’est pas source de bonheur (eudaimonia). Il est essentiel qu’ils comprennent que l’amour et la mort sont des phénomènes naturels et que vouloir lutter contre l’une ou l’autre de ces vérités est en contradiction avec la philosophie stoïcienne.
La chose difficile à admettre que j’ai mentionnée précédemment, c’est que l’amour a des conséquences psychologiques, parmi lesquelles le chagrin. Oui, si l’on souhaite que les soins soient prodigués de manière appropriée, il est inévitable que chaque décès entraîne du chagrin. Tout comme l’amour et la mort, le chagrin est naturel et ne doit pas être combattu. Il faut au contraire l’accueillir. Le chagrin doit être perçu pour ce qu’il est : une conséquence de l’amour, qui constitue le plus bel aspect des relations et de la vie.

Le mot de la fin

Ce que j’ai appris de ma mère dans son travail de soignante, c’est qu’il est difficile de prodiguer des soins de manière appropriée. Cela implique beaucoup d’amour mais aussi beaucoup de chagrin. Cependant, c’est généralement avec les soignants que s’établit la dernière relation pour les personnes en phase terminale. Aussi difficile que cela puisse être, c’est sans doute un acte de courage authentique que nous devrions tous avoir le privilège de vivre à la fin de notre vie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

×