Le texte ci-dessous est une traduction en français, par Michel Rayot et Maël Goarzin, de l’article de Brittany Polat, “The appearances trap“, paru au mois d’août 2021 dans le magazine The Stoic, dirigé par Chuck Chakrapani. Nous remercions l’éditeur de The Stoic de nous avoir donné l’autorisation de traduire ce texte et de le publier ici.
Brittany Polat est l’auteure de l’ouvrage Tranquility Parenting: A Guide to Staying Calm, Mindful, and Engaged. Docteure en linguistique appliquée, elle étudie actuellement la psychologie et la philosophie stoïcienne. Le dernier projet de Brittany Polat se nomme « Living in Agreement ».
Le piège des apparences
par Brittany Polat
Personne n’aime être trompé
Appréciez-vous être trompé ou dupé ? Aimez-vous découvrir que vous avez mal compris quelque chose ? Non, comme tout le monde. Nous détestons tous être menés en bateau et comprendre le monde est un plaisir intrinsèque. Souvenez-vous de la dernière fois que vous avez résolu une énigme, anticipé le dénouement d’un film, ou trouvé la solution à un problème complexe. Cet éclair de génie qui remet toutes les pièces en place et qui vous révèle la solution est délicieux et foncièrement gratifiant. Naturellement, au fur et à mesure que les questions se développent et se complexifient, le plaisir éprouvé dans la compréhension augmente. Que ce soit pour la recherche des origines de la vie sur Mars ou celle du sens de la vie dans un livre, nous nous réjouissons de comprendre le monde.
Nous avons soif de vérité
Les Grecs de l’Antiquité, au moins depuis Socrate, appréciaient notre désir de compréhension et l’incluaient dans leur philosophie. Les stoïciens pensaient que l’une des caractéristiques les plus fondamentales de l’être humain, et l’une de leurs motivations premières, est son désir de connaître la vérité. Pour reprendre les mots de Cicéron, qui a basé son traité Des devoirs sur la sagesse stoïcienne :
« La connaissance de la vérité semble être la vertu de l’homme par excellence. Nous éprouvons tous un désir ardent de connaître, de savoir : exceller dans la science nous paraît être une grande gloire ; être dans l’erreur ou dans l’ignorance, se tromper ou être déçu, nous paraît un malheur et une honte. »
Cicéron, De Officiis, 1.18
Peut-être vous rappelez-vous également qu’Épictète et Marc Aurèle citent une phrase du Sophiste de Platon :
Par conséquent, lorsque quelqu’un donne son assentiment au faux, sache bien que ce n’est pas au faux qu’i voulait donner son assentiment, car, comme dit Platon, « c’est toujours malgré elle que l’âme est privée de la vérité » ; mais il a pris le faux pour le vrai.
Epictète, Entretiens, I, 28, 4-5
La vérité n’est pas évidente
Cependant, malgré notre amour de la vérité, des difficultés surgissent parce que la vérité n’est pas toujours évidente ou facile à comprendre. En fait, quand il s’agit de ce qui est le plus important dans la vie, de nombreuses personnes sont induites en erreur par des apparences superficielles. Ils confondent souvent opinion et vérité, ils acceptent sans critique les idées reçues selon lesquelles l’argent et la célébrité sont bons, tandis que la pauvreté et les insultes sont mauvaises.
Nous devons aller plus loin
Si nous voulons vraiment connaître la vérité, nous devons aller plus loin. Nous devons développer notre objectivité autant que possible, ce qui signifie détacher notre compréhension rationnelle de nos préoccupations égocentriques et de nos réactions impulsives. Au lieu d’accepter aveuglément comme vérité toutes sortes d’affirmations –au cours de discussions de comptoir, en lisant des Tweets ou en consultant des publicités alléchantes – nous devrions tout mettre en œuvre pour remettre en question nos préjugés. Par exemple, les affirmations de ce politicien ou de ce journaliste sont-elles vraiment fondées sur la vérité ? Cette personne, ce produit ou cette publication sont-ils des guides fiables pour comprendre les réalités complexes de notre monde lui-même complexe ? Ces slogans habiles répondent-ils vraiment aux problèmes sous-jacents de notre société ? Ce nouveau produit me rendra-t-il vraiment heureux ? Quelles sont les motivations de cette personne ou de cet organisme pour vouloir que je pense de cette façon ?
Cela demande des efforts
Notre soif naturelle de vérité – si évidente dans la curiosité sans limite des enfants – peut facilement céder la place à la confiance excessive dans le cadre de notre vie sociale et de ses modes de pensée conventionnels. Nous pouvons perdre notre chemin en fonction du désir de nous intégrer et de réussir. Mais il est absolument essentiel de continuellement remettre en question nos propres réactions émotionnelles et les informations que nous recevons du monde. Il ne fait aucun doute que nous devons déployer de grands efforts pour maintenir une attitude de réflexion et de discernement à l’égard de nos impressions. Mais tous ces efforts en valent la peine : en fin de compte, il n’y a pas d’autre moyen d’apprendre la vérité.
Crédits: Photo by Jeffrey Dungen on Unsplash.