Ce texte est une traduction en français, par Michel Rayot et Maël Goarzin, de l’article de Chuck Chakrapani, “Stoic reflections“, paru au mois de juillet 2023. Nous remercions l’auteur de cet article de nous avoir donné l’autorisation de traduire ce texte et de le publier ici.
Cet article, qui se fonde principalement sur la Lettre 78 de Sénèque à Lucilius, complète et approfondit l’article de Santara Gonzales, « Vivre la douleur: la feuille de route stoïcienne« , ainsi que l’article de Karen Duffy, « Le côté positif d’une vie bouleversée« , article dans lequel l’auteure témoigne de son expérience de la douleur chronique.
9 façons de faire face à la douleur physique
par Chuck Chakrapani
Principales idées abordées dans l’article
Les stoïciens de l’Antiquité, en particulier Sénèque, avaient des idées très précises sur la nature de la douleur et sur la façon de la supporter. Voici leurs suggestions sur la manière de faire face à la douleur physique.
- Sachez que la douleur peut être maîtrisée. La douleur est soit aiguë, soit chronique. La douleur aiguë ne dure pas très longtemps, et nous nous habituons à la douleur chronique. Donc, les deux peuvent être maitrisées.
- N’ajoutez pas votre jugement à la douleur. La douleur est supportable jusqu’à ce que nous y ajoutions notre jugement – « c’est terrible ! » Nous devrions donc cesser de penser que la douleur est terrible. Tant que nous aurons un corps, il est prévisible que nous éprouvions de la douleur de temps à autre.
- Ne revivez pas le passé, ne craignez pas le futur. Les souvenirs des douleurs passées et la peur des douleurs futures accentuent notre douleur actuelle. Nous devrions donc éviter de la renforcer par de telles pensées.
- Faites diversion. Nous pouvons aussi opter pour la distraction, c’est-à-dire penser à autre chose au lieu de penser à notre douleur.
- Cultivez les plaisirs de l’esprit. Nous devons nous rappeler que notre esprit n’est pas affecté par les maladies du corps. Ainsi, privilégions les plaisirs de l’esprit plutôt que ceux du corps.
- Tenez compte des avertissements. Les douleurs récurrentes constituent des avertissements. Nous pouvons les éviter en prenant des mesures préventives.
- Résistez à la douleur. Nous ne devrions pas céder trop facilement devant la maladie. Lorsque nous restons forts, la douleur diminue.
- Pensez de manière positive. Lorsque nous avons des douleurs physiques, rappelons-nous que nous les avons parce que nous disposons d’un corps. Nous pouvons nous en réjouir (Épictète, Entretiens).
- Considérez la douleur comme normale. Quand nous considérons la douleur comme quelque chose de normal plutôt que comme quelque chose de terrible, il est peu probable que nous soyons trop gênés. (Marc Aurèle, Pensées).
Quand nous souffrons, nous sommes dérangés par trois choses : nous sommes dérangés par la douleur physique, nous avons peur de mourir, et nous avons peur que la douleur nous empêche de profiter des plaisirs sensoriels. Dans cet article, concentrons-nous sur ce premier élément : la douleur physique.
Deux types de douleur physique
Il existe deux types de douleurs physiques : la douleur brève et la douleur chronique.
Les douleurs aiguës surviennent plus souvent dans les parties fines de notre corps, comme les nerfs et les articulations notamment. Les êtres humains ne peuvent pas supporter une douleur aiguë trop longtemps. C’est pourquoi la nature a fait en sorte que les douleurs aiguës ne durent pas. Les douleurs extrêmes sont fréquemment interrompues. Elles finissent par se calmer puis disparaissent. Cela peut être dû au fait que notre force vitale est entravée et perd alors son pouvoir de nous avertir par l’envoi des signaux de douleur. Ou cela pourrait être parce que les effets secondaires de la maladie engorgent notre système nerveux, et engourdissent par conséquent la douleur.
Quant aux douleurs chroniques, elles suscitent d’abord des difficultés. Mais les douleurs chroniques perdent de leur intensité au fil du temps. Même les douleurs très sévères au départ se réduisent avec le temps ; nos corps s’habituent à la douleur persistante. Tel est donc notre réconfort pour les douleurs intenses : quand la douleur est trop forte, elle ne dure pas longtemps ; quant aux douleurs chroniques, elles s’atténuent avec le temps. Dans un cas comme dans l’autre, la douleur peut être maitrisée.
Votre esprit est puissant
Nous sommes gênés par la douleur physique parce que notre esprit n’est pas entrainé. Nous sommes tellement préoccupés par notre corps que nous n’avons pas appris à être heureux sur le plan mental. C’est pourquoi nous devons séparer le corps de l’esprit et nous préoccuper davantage de notre esprit, c’est à-à-dire la meilleure partie, la partie divine de nous-mêmes. Nous ne devrions nous soucier du corps, c’est-à-dire la partie fragile et susceptible de se plaindre, seulement lorsque nous sommes forcés de le faire.
Au début, il est difficile de rester éloignés des plaisirs sensoriels. Mais en persistant, les désirs disparaissent parce que nos pulsions diminuent et se relâchent. Ainsi, l’estomac se lasse d’attendre et la nourriture que nous désirions auparavant devient indésirable. Une fois que cela survient, il n’y a plus de problèmes à se passer de choses que l’on ne désire plus.
La douleur est négligeable si vous ne lui ajoutez pas votre jugement
Ne vous compliquez pas la vie en ajoutant la plainte au poids de la douleur. La douleur est négligeable si vous n’y ajoutez pas votre jugement. Essayez de vous dire : « Ce n’est rien. Une petite chose en somme. Soyons forts et cela disparaîtra bientôt. » En pensant que la douleur est négligeable, vous la rendez négligeable. Comme le dit le dicton bouddhiste : « La douleur est inévitable, mais la souffrance est facultative. » Ce sont nos jugements qui créent la souffrance.
Nous souffrons à cause de notre jugement
Si vous pensez que vous êtes malheureux, vous êtes malheureux. Peut-être devriez-vous cesser de vous lamenter sur vos souffrances passées et de vous dire : « Personne n’a jamais connu pire. J’ai traversé de telles souffrances, des choses si terribles. Personne n’imaginait que je m’en remettrais. Les médecins m’ont abandonné et ma famille était désespérée. Personne d’autre que moi n’a subi un tel calvaire ! » Même si toutes ces choses sont vraies, c’est fini maintenant. Qu’y a-t-il à gagner à revivre les souffrances passées, à être malheureux maintenant parce que vous étiez malheureux à l’époque ? De plus, les gens se trompent en amplifiant leurs problèmes. Et ce qui est difficile à supporter est agréable, une fois que vous l’avez surmonté. Il est naturel d’être heureux après avoir surmonté ses difficultés.
Il y a, Lucilius, plus de choses qui nous font peur que de choses qui nous font mal; c’est plus souvent l’opinion que la réalité qui nous met en peine.
Sénèque, Lettres à Lucilius, 13, 4, traduit par H. Noblot et revu par P. Veyne
Considérer la douleur comme normale
Quand la douleur survient, il est facile de s’alarmer et d’exagérer ses effets. Une autre façon de voir la douleur est donc de la traiter comme un phénomène normal, qui n’a rien d’alarmant et qui ne justifie pas que l’on s’apitoie sur son sort. Marc Aurèle souligne : « La peine que supportent la main et le pied n’est pas contraire à leur nature, tant que le pied remplit son office de pied et la main son office de main. De même, la peine que supporte l’homme n’est pas contraire à sa nature tant qu’il remplit son office d’homme. Or, si elle n’est pas contraire à sa nature, elle n’est pas non plus pour lui un mal » (Marc Aurèle, Pensées VI, 33, traduit par Léon-Louis Grateloup). Lorsque nous considérons une chose comme naturelle ou normale, il est peu probable qu’elle nous dérange outre mesure.
Deux choses dont il faut se débarrasser
Quand nous avons mal, nous avons tendance à nous souvenir des situations douloureuses que nous avons vécues par le passé. Nous imaginons aussi à quel point nous serons mal à l’avenir si la douleur persiste. Comme le disait William Osler : « La charge de demain, ajoutée à celle d’hier, portée aujourd’hui, fait vaciller les plus forts. Fermez l’avenir aussi fermement que le passé. » Vous devriez donc vous débarrasser complètement de deux choses : la peur des douleurs futures et la réminiscence des douleurs passées. Les douleurs futures ne nous concernent pas encore. Les douleurs passées sont terminées. Lorsque vous avez un problème, dites-vous qu’un jour, peut-être, ce ne sera plus qu’un souvenir, et que cela vous réjouira peut-être. Luttez contre vos problèmes de toutes vos forces. Si vous cédez, vous serez vaincu. Mais si vous persistez, vous gagnerez. Votre récompense sera l’excellence, la fermeté et la paix de l’esprit. La nature nous donne la force de faire face à tout : exerçons cette faculté. Chaque problème s’accroît si nous cédons et reculons. Si votre maladie est longue, elle vous soulage en vous accordant une période de repos, en vous donnant beaucoup de temps. Au fur et à mesure qu’elle se présente, elle s’atténue également. Si elle est courte (et très grave), il n’y a que deux possibilités : soit elle s’arrête, soit vous arrêtez de vivre. Dans les deux cas, la douleur prend fin.
Deux éléments doivent donc être éradiqués une fois pour toutes: la peur des souffrances futures et le souvenir des souffrances passées. Ceci n’est plus rien, cela ne me touche pas encore.
Sénèque, Lettres à Lucilius, 78, 14
Détourner ses pensées de la douleur
Il est également utile de détourner ses pensées de la douleur, pour les tourner vers autre chose. Pensez aux choses courageuses et honorables que vous avez faites dans votre vie. Pensez au bon côté de la vie. Souvenez-vous des choses que vous avez particulièrement admirées. Puis pensez à toutes les personnes courageuses qui ont surmonté la douleur. Pensez à la personne qui a continué à lire pendant leur opération pour les varices. Pensez à la personne qui n’arrêtait pas de sourire, même sous la torture.
Peu importe ce dont vous souffrez – rhume, toux violente, fièvre, soif, membres douloureux avec les articulations distendues – il y a eu des gens qui ont souffert davantage sans jamais se plaindre.
Les maladies affectent le corps, pas l’esprit
C’est votre corps qui est affecté par la mauvaise santé, pas votre esprit. La mauvaise santé ralentit les jambes du coureur, entrave le travail du cordonnier ou de l’artiste. Mais si votre esprit est entrainé de façon régulière, vous continuerez à enseigner, encourager, écouter et apprendre, rechercher et méditer. Pensez aux athlètes qui continuent leur effort même lorsqu’ils souffrent. Pensez aux artistes qui peignent ou écrivent quand leur corps est déchiré par la douleur. Prenez conscience que votre esprit est plus fort que votre douleur.
Que nous faut-il de plus ? Est-ce rien que de conserver la maîtrise de soi lorsque nous sommes malades ? Nous prouverons qu’une maladie peut être surmontée, ou du moins supportée. L’excellence a sa place même sur un lit de malade. Les armes et les batailles ne sont pas les seules preuves d’un esprit courageux. Même une personne alitée peut faire preuve de courage. Notre tâche consiste à lutter courageusement contre la maladie, contre notre douleur. Si elle nous empêche d’agir, ou nous incite à ne rien faire, nous donnerons l’exemple. Si seulement les gens nous voyaient quand nous sommes malades, ils pourraient saluer notre attitude ! Soyons notre propre observateur et félicitons-nous.
Prendre des précautions
Comme nous l’avons déjà mentionné, toute douleur cesse ou diminue après un certain temps. Souvent la douleur nous avertit à l’avance, en particulier lorsqu’elle se répète. Pourtant, nous ignorons souvent ces avertissements de sorte que la douleur devient plus forte et prend finalement le dessus. Au lieu d’attendre que la douleur augmente ainsi, nous pouvons faire en sorte d’éviter qu’elle réapparaisse en prenant des mesures préventives. Si vous envisagez le pire, vous pouvez y faire face. Parfois, tout ce qui est nécessaire est de prendre les précautions nécessaires en temps voulus.
[Cet article se fonde principalement sur la Lettre 78 de Sénèque à Lucilius et accessoirement sur les Pensées de Marc Aurèle et les Entretiens d’Épictète.]
Crédits: Photo de Aarón Blanco Tejedor sur Unsplash