Charisme moral: le pouvoir de la vertu

Ce texte est une traduction en français, par Michel Rayot et Maël Goarzin, de l’article de Sharon Lebell, “Moral Charisma: The Power of Virtue“, paru au mois de novembre 2021 dans le magazine The Stoic, dirigé par Chuck Chakrapani. Nous remercions l’éditeur de The Stoic de nous avoir donné l’autorisation de traduire ce texte et de le publier ici.

Brittany Polat est l’auteure de l’ouvrage Tranquility Parenting: A Guide to Staying Calm, Mindful, and Engaged. Docteure en linguistique appliquée, elle étudie actuellement la psychologie et la philosophie stoïcienne. Le dernier projet de Brittany Polat se nomme « Living in Agreement ».


Charisme moral: le pouvoir de la vertu

par Brittany Polat

Souvenons-nous que, lorsque nous sommes à la recherche de professeurs de morale, la théorie est importante, mais il est tout aussi important de trouver une personne capable d’inspirer une transformation intérieure.

Qu’est-ce que le charisme moral ?

Nous savons tous ce qu’est le charisme : ce charme particulier que dégagent certaines personnes et qui attire les autres vers elles. Mais avez-vous déjà entendu parler du charisme moral ?

L’érudit confucéen Philip Ivanhoe, qui a identifié cette idée pour la première fois dans l’éthique de la Chine ancienne, définit le charisme moral comme « l’attraction naturelle que l’on ressent envers les individus moralement forts ». Dans la philosophie chinoise classique, le terme traditionnel de vertu (de) implique « un pouvoir sur les autres, mais qui, paradoxalement, ne peut être utilisé pour manipuler les autres à son profit ». – Philip J. Ivanhoe, Confucian Moral Self Cultivation, 2000)

Une attraction magnétique

Ceux qui sont vertueux exercent une sorte d’attraction magnétique sur les autres en raison de leur intégrité morale et de leur absence d’intérêt pour les objets habituels du désir, tels que la richesse, la célébrité et le pouvoir. Ils sont charismatiques précisément parce qu’ils ne veulent pas manipuler les autres à des fins personnelles. Ils ont généralement des objectifs plus universels en tête.

Exemples de charisme moral

Le charisme moral a traditionnellement été minimisé dans la philosophie occidentale au profit de recherches théoriques sur la morale. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’est pas important. Socrate, le père de la philosophie occidentale, avait un charisme moral très fort. Il suffit d’écouter comment Alcibiade décrit l’influence de Socrate sur lui :

« Quand je lui prête l’oreille, mon cœur bat beaucoup plus fort que celui des Corybantes et ses paroles me tirent des larmes ; et je vois un très grand nombre d’autres personnes qui éprouvent les mêmes impressions. » – Platon, Banquet, 215e, trad. L. Brisson.

Cette description de Socrate met en lumière la « magie personnelle » qui a tant inspiré ses amis. En fait, on pourrait dire que le charisme moral de Socrate était un aspect essentiel de sa personnalité philosophique ; il n’aurait pas été Socrate sans cela. L’effet déstabilisant qu’il avait sur les gens poussait certains à l’aimer et d’autres à le détester, mais personne ne pouvait rester indifférent.

Les philosophes stoïciens ont également utilisé le charisme moral à bon escient dans leur enseignement. Epictète parle ainsi de son professeur, Musonius Rufus :

« il parlait de telle façon que chacun de nous qui étions assis près de lui croyait que quelqu’un lui avait révélé nos défauts, tellement il touchait juste en parlant de ce qui nous arrivait, tellement bien il mettait devant les yeux de chacun ses propres maux » – Epictète, Entretiens, III, 23, 29, trad. R. Muller.

Épictète, à son tour, a inspiré des sentiments similaires chez ses élèves. Dans la préface des Entretiens, l’élève d’Epictète, Arrien, écrit à propos d’Epictète :

« Lorsqu’il parlait en personne, l’auditeur ne pouvait s’empêcher d’éprouver exactement ce qu’Epictète voulait lui faire éprouver. » – Epictète, Entretiens, préface, 7, trad. R. Muller.

Ces grands professeurs de morale sont grands, non pas en raison de leur maîtrise théorique de la doctrine, mais parce que leur boussole morale est si finement calibrée qu’elle peut même orienter l’étudiant le plus indocile dans la bonne direction. Leur vision intérieure brille si fort – en parfaite adéquation avec leur parole et leur comportement – qu’ils peuvent éclairer le chemin pour les autres.

L’apprentissage ne se limite pas à la transmission

Pour ceux d’entre nous qui considèrent la philosophie comme un mode de vie, l’apprentissage n’est pas seulement une transmission de doctrine, mais un espace de communication, une interaction personnelle, même si elle se déroule à distance. Alors souvenons-nous que, lorsque nous sommes à la recherche de professeurs de morale, la théorie est importante, mais il est tout aussi important de trouver une personne capable d’inspirer une transformation intérieure. Choisissez vos enseignants et vos modèles non seulement pour leurs connaissances, et certainement pas seulement pour leur charisme, mais pour leur engagement moral personnel qui, à son tour, vous conduira au vôtre.


Crédits photo : Socrates par Ben Crowe, Licence CC BY.

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